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Symphonie Minérale
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8 octobre 2014

Chapitre 6- Andante-vivace - Tanner trail et Beamer Trail

Quittons les points de vue et chemins de randonnée de l’ouest de la rive sud et aventurons-nous vers l’extrémité est de la route qui mène à la sortie du parc.
Peu avant d’y arriver, nous avons la tour de garde construite sur les plans de Mary Colter à Desert View. De ce point on peut prendre un chemin de randonnée qui transite sur le sommet des Palissades, barrière naturelle du parc national de Grand Canyon. Cette falaise se termine à Cape Solitude, à la verticale du petit Colorado l’un des affluents majeurs du Colorado.

Une telle randonnée est particulièrement longue et risquée et peu nombreux  sont ceux qui s’y aventurent.

En revenant vers Grand Canyon Village à quelques centaines de mètres de Desert view, sur sa droite, une route mène à Lipan Point, départ du Tanner Trail.

Ce chemin de randonnée n’est pas entretenu par le parc national. Seule la première partie présente des difficultés et incite à la prudence ainsi que la descente dans le Redwall après avoir dépassé Cardenas Butte. Pour le reste le chemin est bien visible mais attention il n’y a aucun point d’eau jusqu’au fleuve.

La fin du chemin aboutit à la jonction avec le Beamer Trail sur sa droite, longeant pratiquement sur toute sa longueur, le Colorado et finissant à la confluence avec le Petit Colorado. A gauche de l’arrivée à Tanner rapid, vers l’ouest, se trouve le début de l’Escalante route menant à Hance Rapid, chemin moins évident dont on peut faire quelques miles pour aller admirer du haut d’une falaise Unkar Rapid, un des rapides importants dans ce coin du parc. En face d’Unkar Rapid, sur la rive droite, se trouve un important site archéologique indien où l’on peut voir de nombreuses poteries. En général lors des descentes en raft on s’arrête pour visiter le site.

J’ai parcouru deux fois en 1996 et 2007 le Tanner et le Beamer Trail. Ce sont des souvenirs magnifiques mais aussi douloureux, cette fois-ci en raison des conditions climatiques toujours imprévisibles.

 

Un nom lié à l’histoire de la Conquête de l’Ouest :

 

Le nom attribué au parcours est celui du prospecteur Seth Tanner, un mormon né en 1828 dans l’état de New York et mort en 1918 à l’âge de 90 ans.

Il était l’un des 21 enfants nés de John Tanner au cours de l’émigration de sa famille vers l’Ouest. Il arriva à Salt Lake City en 1848. Après avoir été dresseur de chevaux sauvages, chercheur d’or, prospecteur dans des mines de charbon en Californie, il fit partie d’une expédition ayant pour but de chercher un lieu d’installation mormon en Arizona sur le Petit Colorado.

Guide de cette expédition plus connue sous le nom de Hole in the Rock qui fut longue et difficile. Les membres de ce voyage ne suivirent pas les conseils de Tanner et décidèrent de prendre un raccourci qui devait les amener dans l’actuelle région des Four Corners, point commun des 4 états du Colorado, Nouveau Mexique, Arizona et Utah. Arrivés à la hauteur du Colorado dans Glen Canyon qui est aujourd’hui en partie sous les eaux du Lake Powell, les éclaireurs de l’expédition avisèrent une anfractuosité de rochers permettant selon eux de descendre jusqu’à la rive du fleuve. Ils passèrent plusieurs mois à élargir cette voie pour permettre le passage des chariots et du bétail.

 

HoleInTheRock

Hole in the Rock vu de son entrée supérieure

Le 26 Janvier 1880, bétail, chariots, hommes, femmes et enfants  furent descendus à tour de rôle du haut de la falaise de 400 mètres jusqu’à la rive du fleuve, sans la moindre victime soit 250 personnes, 83 chariots et un cheptel de plus de 1000 têtes !!!Un bateau de bois servit ensuite au passage du Colorado et fut construit par Charles Hall. L’un des endroits de passage de l’actuel Lake Powell en cet endroit a été baptisé de son nom en son honneur. Il est possible de visiter le site en voiture sur des pistes tracées à travers cette région sauvage et désertique. Les traces du passage de l’expédition y sont encore visibles.

450px-HoleInTheRock2_1

 

Cette traversée aurait pu être évitée si l’expédition avait suivi les conseils de Tanner qui aurait ramené la durée du voyage à 6 semaines au lieu du trajet de 6 mois qu’ils entreprirent.

C’est Seth Tanner qui améliora le Tanner trail pour lui permettre d’avoir un meilleur accès à sa mine de cuivre dans Tanner canyon au pied des Palissades.

Ce passage aurait été aussi utilisé par des voleurs de chevaux et Tanner Canyon se serait appelé Horsethief Canyon. Les voleurs utilisaient le canyon pour y changer les marquages des chevaux avant de leur faire traverser le fleuve et de rejoindre la rive nord via le Nankoweap trail.

Comme on le voit les Trails du Grand Canyon sont riches en témoignages de la grande époque de le « Frontière», la conquête de l’ouest américain.

La première partie de la descente, jusqu’en Mai 2007, se faisait sous les arbres avec face à soi la chaine des Palissades qui est la barrière est du Grand Canyon National Parc. Perpendiculaire à soi on peut apercevoir dans le fonds de la vallée, Tanner Canyon, dont les débris charriés par le courant en période de pluies forment à son embouchure Tanner Rapid.

 

Des Randonneurs escaladant Hole in the rock

 

 

 

 

 

 

LIpanpointcorbeau_1

 Même la faune sait contempler la beauté du canyon.  Au loin Unkar rapid.

Descente du Tanner Trail 

Les clichés réalisés à l’aide de Google Earth montrent le détail du parcours entre Lipan point et Tanner rapid. Les cartes topographiques illustrent également le parcours du Trail.

 

vue du parcours tanner beamer entier

Parcours total de Lipan Point à la confluence avec le petit Colorado (en bleu clair)

La distance à parcourir est d’une longueur de 14.5 kms et représente un dénivelé total de1400m soit une pente moyenne de 9.7%. Le cliché ci-dessous donne une vue en coupe du parcours et de son dénivelé. 

coupe Tanner Trail

 Mais cette pente relativement commune sur les chemins de Grand canyon ne doit pas faire illusion. A trois endroits elle dépasse les 30% et réclame alors une attention soutenue pour éviter tout accident car les roches sont friables et l’on passe à certains endroits dans des éboulis.

Ce chemin à dû être à l’origine également une voie de passage des indiens Anasazi et Hopi. La plupart des historiens pensent que c’est ici que Garcia Lopez de Cardenas découvrit le Grand Canyon ainsi que nous l’avons expliqué au début de ce livre.

Au cours de l’été 2007 un glissement de terrain affecta la partie du chemin comprise entre Lipan point et Escalante Butte entraînant sa fermeture par le Service Park. Depuis il a été rouvert. En  septembre 2014 nous nous sommes rendus au sommet du chemin; celui apparait particulièrement endommagé à première vue.

Partant de Lipan Point, le chemin descend à travers les arbres en zigzagant sur prés de deux cents mètres de dénivelé sur une distance de 600 mètres environ. A plusieurs reprises il faut passer des éboulis voire des plaques de rochers en équilibre instable. La plus grande prudence s’impose. Des cairns sont bien disposés pour indiquer le chemin mais on les distingue mal car les pierres utilisées se confondent avec le reste du paysage rocheux quand les intempéries ne les ont pas fait tomber.

Puis le chemin se poursuit sur près de 400 mètres de dénivelé jusqu’au pied d’Escalante Butte. En passant on remarquera sur sa gauche une sorte de mur naturel pendant une dizaine de mètres masquant la vue sur le canyon. Arrivé à son extrémité on peut voir sur sa gauche la descente vers Seventyfive mile Creek et Escalante Creek qui aboutissent tous deux à des rapides. Seventyfive mile creek se jette dans Nevills rapid (5 mètres de haut coté 4-7/10 en difficulté), dernier rapide avant le dangereux Hance rapid 1600 mètres en aval (9 mètres de haut coté 7-8/10). Les deux rapides sont parfaitement visibles aussi bien du sommet du Tanner trail que de ce point de vue 500 mètres plus bas.

Arrivé à ce premier palier correspondant, grosso modo à la cote 1740, il est prudent de cacher une réserve d’eau pour la remontée du trail au retour.

En effet sur tout le trajet jusqu’au fleuve, il n’y a pas le moindre point d’eau et le trajet est exposé plein nord-est avec une végétation assez rare pour se protéger du soleil.

J’emporte sur ce chemin 6 litres d’eau et j’en cache 2 à cet endroit en prenant soin d’effacer toute trace de mon passage pour ne pas avoir la mauvaise surprise au retour de ne plus retrouver mes bouteilles.

En général les randonneurs sont respectueux entre eux mais il peut toujours y avoir une brebis galeuse dans le lot!

Il faut néanmoins prendre soin de vérifier avant de soulever un rocher pouvant servir de cache, que celle-ci n’est pas le lieu de séjour d’un des prédateurs du canyon n’aimant pas en général être dérangé par un intrus. Scorpions, veuves noires et autres serpents à sonnettes ne sont pas rares dans ces régions. Faire du bruit avec son bâton ou fouiller avec, sont les meilleurs moyens pour s’assurer au préalable que l’on sera l’unique occupant et locataire du coffre improvisé.

Arrivé à ce point de la descente nous entrons de plein pied dans la formation Supai du Canyon - 1.1 milliards d’année avant notre ère.

En poursuivant on passe sous Escalante Butte  et Cardenas Butte se trouve un peu plus loin sur sa gauche.

de lipan point a cardenas butte

 Tanner Trail de Lipan Point à Cardenas Butte

Tanner Trail Debut

Vue en  3D du parcours en faisant face au trail dénivelé de la photo soit 166mètres/610 mètres de trajet et une pente moyenne de 27.2%.

Tanner Trail 1

De 2059m à 1859 m. d’altitude sur 600 mètres de parcours (33% de pente)

Tanner Trail 2

Arrivée en dessous d’Escalante Butte (11% de pente)

 Tanner Trail 3

D’Escalante Butte au sommet du Redwall (3410 mètres de parcours avec une pente de 6.5%)

Arrivé à ce point, le chemin se poursuit de façon très visible sur la partie supérieure du Redwall et en pente douce, remontant à certains moments de quelques mètres en altitude.
On débouche in fine sur une vaste esplanade. On est arrivé au bout d’une falaise et l’on peut voir devant soi et légèrement sur sa droite une trouée marquant le départ de la descente abrupte et en zigzag dans le Redwall sur prés de 900 mètres avec une pente moyenne de 30% !

Si vous le souhaitez lors de la demande de votre permis de randonnée, prévoyez une nuit supplémentaire ici. Cela vous permettra de vous reposer avant la deuxième partie de la descente qui comme on va le voir est difficile et requiert de votre part une attention soutenue.

Vous aurez quelque mal à y planter les piquets de votre tente, la roche du Redwall est particulièrement dure, mais vous trouverez de nombreux rochers épars et qui pourront vous servir de poids pour maintenir celle-ci. Ne lésinez pas sur la quantité car il est fréquent sur ce petit plateau d’avoir des bourrasques de vent. Ce fut le cas en 2007 et j’étais cependant bien content de faire une halte de prés d’une demi-journée dans ce cadre magnifique et de retrouver des forces après les efforts du matin.

Le lendemain matin prévoyez de partir dès l’aube commençante. Cela vous épargnera les brûlures du soleil sur le tronçon suivant encore plus exposé que la descente de la veille.

Une extrême prudence s’impose ici car le sol est très friable et on y dérape facilement.

Il est extrêmement dangereux de s’amuser à couper les lacets pour prendre des raccourcis.

Outre que cela accroît  la vitesse de l’érosion, la perspective est faussée par la pente et peut amener à des accidents graves si on dérape. C’est de toute façon une pratique à proscrire en randonnée d’une manière générale.

La vue ici est extraordinaire. On voit sans obstacle le delta de Tanner creek et la grande tache verte de l’embouchure donnant sur Tanner rapid aux eaux ivoire dans le bleu vert du Colorado au printemps.

 De cardenas au bas du Redwall

 De Cardenas Butte au bas du Redwall.

Nous avons quitté les couches de la formation Supai en arrivant au sommet du Redwall et arrivé au terme de sa descente nous arrivons dans les trois avant dernières couches visibles des strates du canyon, Muav, Bright Angel Shale et Tapeats. Nous sommes remontés dans le temps d’environ 1.7 milliards d’années depuis notre point de départ! 

le redwall

 

Tanner Trail 4

Descente dans le Redwall et finale vers Tanner Rapid Camp. La descente dans le Redwall consiste en un parcours de 900 mètres avec un dénivelé de 271 mètres soit une pente moyenne de 30.1%

 tanner1trace_1Passé le pied du Redwall le reste de la descente ne présente aucune difficulté, le chemin est parfaitement visible dans ce décor qui varie du gris foncé au bordeaux et descend de 600 mètres sur une distance totale de 4.5 kms soit une pente moyenne de 13.3% ce qui n’est rien comparé à ce que vous avez affronté de beau matin.

 

Du Redwall au Colorado

Tanner Rapid Camp

Tanner rapid camp est un site primitif sauf à quelques mètres du fleuve où je crois me souvenir qu’il y a une ou deux tables (et encore je n’en suis pas certain). Il y a des toilettes chimiques fonctionnant à l’énergie solaire perdues au milieu des tamaris.

En 1996 j’avais trouvé l’endroit idéal juste au dessus du fleuve à droite de Tanner Creek.

Véritable havre de fraîcheur, un auvent naturel d’arbres permettait d’installer sa tente, de tirer une corde entre deux arbres pour y suspendre en principe à l’abri des rongeurs, son sac à dos et sa nourriture. J’avais obstrué, derrière la tente, la seule trouée permettant au soleil de la réchauffer, avec ma bâche anti pluie accrochée également entre deux arbres.

Ainsi mes bouteilles remplies d’eau du Colorado à raz bord et filtrée soigneusement et à 10°C, je me trouvais le plus heureux des hommes.

 

Tanner camp_1

 

Tanner camp

 

 

En bon homo sapiens, je me croyais plus fort que la gente animale! J’allais vite déchanter aussi bien en 1996 qu’en 2007.

Une fois installé en cet après midi de 1996, ayant bien déjeuné j’avais repéré un endroit qui me paraissait parfait pour y accrocher ma nourriture.

Un écureuil passait par là que la faim tenaillait.

Ho! Ho ! se dit-il, voilà qui l’apaiserait!

Sans mentir ce bonhomme se croit à l’abri des soucis.

Je vais lui montrer que je suis plus malin que lui.

Ni une ni deux, montons donc sur la branche,

Atteignons sans faire de bruit le bout de ce beau manche

Et grignotons tranquillement ce charmant bout de fil.

La ficelle casse, et hop voilà le sac parterre,

Sautons vite avant que le sieur des lieux ne se mette en colère.

Ouh là ! Le voici ! Il hurle et vocifère!

La prochaine fois il saura que le maître ici, c’est moi

Et merci cher ami pour cet encas de choix!

Vous l’avez compris ce charmant animal s’en est allé emportant dans ses pattes l’un de mes paquets de raisins de Corinthe que j’ajoute à mon porridge matinal. La fripouille était en effet des plus malines.

En 2007 les choses furent moins drôles.

Alors que je finissais de remplir mes bouteilles, dernier acte de mon installation dans mon havre de verdure retrouvé, j’entendis venant derrière moi des exclamations de surprise de randonneurs installés peu de temps avant moi sur la rive gauche du creek.

Je me retourne et observe l’un d’eux, camera au poing, suivant je ne sais quoi au sol.

Je m’approche et découvre qu’il filme le face à face d’un écureuil et d’un serpent à sonnettes.

L’écureuil tourne en rond autour du sinistre prédateur. Un peu plus loin bien visible sur le talus du creek, un trou bien rond. C’est le terrier du rongeur où sans doute niche sa progéniture inconsciente du danger qui s’avance et la menace.

Maman écureuil n’a pas froid aux yeux et veille au grain; avec ses pattes avant et campée fièrement sur son petit derrière, elle lance des pierres au serpent ; de temps en temps elle lui tourne le dos et de sa longue queue comme se servant d’un balai, elle l’asperge de poussière et de grains de sable. Rien n’y fait. Le serpent inexorablement se rapproche du trou. Il l’atteint et entre sa tête dedans puis les deux tiers de son long corps. Seule reste visible sa queue dont les derniers anneaux sont amputés par la vieillesse.

Désabusée et vaincue Dame écureuil abandonne devant la fatalité, ses enfants à leur triste sort. On serait prêt à chanter l’air célèbre « O Don fatale, O Don crudele, Ti maledico… », du Don Carlos  de Verdi.

Elle passera ses nerfs quelques heures plus tard sur un sac poubelle que j’avais malencontreusement accroché à une branche d’arbre à sa portée. Je passais alors une heure à ramasser ordures et morceaux de papier traînant à tout venant.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Reprenant mes bouteilles enfin pleines, je me dirigeais vers ma tente quand stupéfait je trouvais sur mon chemin un second serpent à sonnettes plus petit que le premier et visiblement descendant en ligne directe du vieux beau installé depuis une heure dans le terrier de l’écureuil! En y regardant de plus près, je vis avec horreur que faisant face à ma tente se trouvait 3 ou 4 petits trous ronds, d’un diamètre identique à celui du serpent ! La conclusion coulait de source : mon merveilleux site était infesté de serpents, dix ans après. Il n’y avait pas d’autre solution que celle de tout démonter et de trouver un autre lieu pour camper. Et bien sur le seul à l’ombre était occupé par mes voisins de Flagstaff. Je dus m’installer sous un arbre dont l’ombre était fort réduite et je passais mon après midi les pieds dans l’eau glacée du Colorado et adossé à un gros rocher. On fit la causette avec les « Flagstaffiens » assez étonnés de voir un parisien en ce lieu reculé et riant évidemment de ma déconvenue.

Ainsi que ces deux leçons servent au lecteur, les prédateurs sont à la fois pleins de ressources et peuvent être dangereux à côtoyer. Donc le maximum de précaution est à prendre en installant son campement.

Je passais le lendemain encore à Tanner rapid, observant les rafts et les kayaks qui franchissaient les vagues de ce rapide qui bien que descendant de 6m n’est coté que 2-4/10 sur l’échelle des rapides du fleuve.

Observer un kayak franchissant un rapide de cette puissance est assez curieux. Le kayak arrive au bord du rapide et plonge dans le creux de la première vague propulsé à la force des bras et des poignets du rameur. Il plonge du même coup sous la vague qui suit cette dépression et réapparait de l’autre côté entamant l’ascension de la vague suivante. Le rameur en principe a eu la chance jusqu’ici de ne pas se retrouver cul par dessus tête. Mais là, en dépit de ses efforts, la puissance de la vague qui poursuit son ascension jusqu’à son point de rupture, repousse le kayak et son propriétaire et le renvoie à ses chères études à son point de départ initial! Tout se passe comme si le rameur, ramait à l’envers! Ce ne sera qu’au bout de deux ou trois tentatives que le marin d’eau douce, (pas si d'eau douce que cela car il faut sang froid et muscles pour s'essayer à ce sport ici), franchira l’obstacle et le phénomène risque de se répéter plusieurs fois tout au long de la traversée du rapide. 

L’après midi muni d’un petit sac à dos contenant nourriture et eau, je m’engageais sur l’Escalante route qui mène à l’East Tonto trail vers le Bright Angel Trail.

 Unkar Rapid et escalante routeEscalante route vers Unkar rapid au milieu à l’extrême droite de la photo. Sur la rive droite du fleuve dans la deuxième courbe du rapide se trouve le site indien.

Unkar rapid se trouve à 3.2 kms à l’ouest de Tanner rapid au pied d’une falaise de 33 mètres surplombant le rapide qui occupe pratiquement la totalité du S que forment les deux courbes du Colorado.

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Unkar rapid en amont

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Unkar Rapid en aval

Le Beamer Trail

A l'aube de mon troisième jour, je prenais mon habituel petit déjeuner au bord du fleuve, toujours en proie à cette émotion indescriptible que provoque chez moi la vision de ce site sortant doucement de la nuit. Qui n'a pas dormi au fonds de Grand Canyon ne peut comprendre l'impact de ce site sur l'individu un tant soit peu sensible. Combien de fois m'est-il arrivé d'en être ému jusqu’aux larmes. Cette hyper affectivité est sans doute provoquée en partie par la fatigue physique de ces randonnées qui sont loin d'être faciles.

Vers les 4h30-5h du matin le canyon est plongé pour sa majeure partie, dans la pénombre. Seules quelques falaises exposées vers l'est prennent des tons or sous les premiers rayons du soleil qui se fraient un passage dans ce dédale de pyramides. S'il était un accompagnement musical qui siérait à ce paysage, on choisirait le final de l'or du Rhin de Wagner, au moment où les dieux commencent leur montée au Walhalla, sur l'arc en ciel que Wotan à jeté contre la façade de la forteresse. D'ailleurs ce n'est pas un hasard si les explorateurs au cours des siècles ont attribué des noms Wagnériens ou de la mythologie Indou à nombre de ces mesas.

Ce qui frappe le visiteur c'est le silence impressionnant qui règne, amplifiant le moindre petit bruit d'insecte se déplaçant à l'abri des regards indiscrets. Le bruit de l'eau du rapide se précipitant au travers des rochers qui le forment, est aussi amplifié et prend des tonalités de tonnerre. Donner est là qui veille!

Enfin le signal du réveil est invariablement donné par les canyons Wren, les fauvettes qui s'interpellent de falaises en falaises, entamant un véritable dialogue au lever du jour comme à son crépuscule.

La journée devait être longue. J’avais à parcourir le Beamer trail long de prés de 16 kms, chemin pratiquement invisible se frayant un passage le long ou en surplomb du fleuve, par montées et descentes successives soit au travers de rochers éboulées de la façade des Palissades, soit sur une pente en dévers plus ou moins accentuée et comme par hasard orientée vers le vide surplombant de 100 ou 150 mètres les eaux glacées du fleuve.

Beamer trail marqué_1

Le tracé du Beamer Trail entre Tanner rapid et la confluence du Petit Colorado et du Colorado.

Ce chemin évidemment non entretenu par les autorités du parc, comme la plupart de ceux du canyon, a été construit par les animaux, les Indiens ou les prospecteurs.

Une fois sorti du delta de Tanner creek en remontant sur ses pas dans le lit de la rivière puis en montant sur le talus à sa gauche (un cairn et une trace visible de pas attestent du début du trail), on se trouve sur le Beamer en direction du Petit Colorado.

Pendant 6 kms environ on sera plus ou moins à la hauteur de la rive du fleuve voire même au bord ce qui aura l’avantage de pouvoir régulièrement remplir les bouteilles d’eau fraîche et filtrée.

Cette précaution est importante car au bout de ce premier tronçon, le trail va monter de plusieurs dizaines de mètres et se trouver en surplomb au dessus du fleuve jusqu’à l’arrivée à la confluence sans qu’il soit possible de se réapprovisionner. 

Ravitallement à Tanner_1

Avant de retrouver le désert, remplissage des bouteilles devant Carbon(1996).

Au passage on verra tout d’abord Lava canyon et son petit rapide, puis au bout du tronçon Carbon Canyon et Carbon Rapids.

Ces différents noms attestent de notre niveau dans les couches géologiques. Nous sommes en effet presqu’à la hauteur des premières couches de Vishnu Schist qui apparaissent complètement à Tanner Rapid.

 tanner à carbon rapids_1

 De Tanner rapid à Carbon rapid 6 kms.

De Carbon Canyon au mile 63 du fleuve, sur une distance de 6 kms, le chemin zigzague en montant sur une corniche puis passant d’un petit canyon à l’autre. En tout j’avais parcouru prés de 12 kms.

carbon à mile 63 camping sauvage_1

De Carbon Canyon à Mile 63 et mon campement sous les Palissades.

Tout le long de cette journée, j’avais du lutter en permanence avec le vent qui avait une fâcheuse tendance à me pousser vers le vide en un plongeon glacé dans les eaux du fleuve. Mon bâton de randonnée s'avéra dans cette circonstance particulièrement bienvenu ; il m'aida aussi à me maintenir sur ce sol constitué de petites billes de grés qui transformaient ce chemin, à peine visible, en véritable patinoire. Ma carte topographique s'avéra également trés utile pour me repérer sur mon avancement en suivant les courbes de niveaux et les méandres du fleuve.

Mon avance se fit donc beaucoup plus lentement que prévu. A certains endroits, tels les cowboys des romans de Tony Hillerman, je jetais un coup d'œil sur mon "backtrail" pour mémoriser la topographie et la perspective de mon parcours bien différente de celui de l'aller, en vue du retour.

In fine 19h arriva trés vite et il n'était pas question de poursuivre mon chemin à la lumière d’une frontale. Cela aurait été particulièrement dangereux et les risques d'accident déjà réels de jour, s'en seraient trouvés accrus. J'allais donc me trouver en infraction avec les règles du parc qui imposent les lieux de campement chaque soir sur le permis de randonnée.

Nécessité faisant loi, j'avisais un promontoire suffisamment éloigné du bord de la falaise pour pouvoir installer tant bien que mal ma tente monoplace. Le terrain était en pente en direction du vide, et la roche si dure que je ne pouvais enfoncer que quelques piquets pour maintenir mon habitat sur place et ne pas risquer de le voir s'envoler vers le vide en mon absence!

En contrebas sur la rive droite un groupe de rafteurs était occupé à installer aussi leur campement pour la nuit. D’où ils étaient ils ne risquaient pas de s’apercevoir de ma présence.

Après un rapide et succulent poulet au citron vert et spaghetti lyophilisés, après la fatigue de la journée et m'être copieusement réhydraté, je m'endormais comme un bébé au son atténué du vent dans la gorge telles des nuées de fantômes venant découvrir cet intrus dans leur univers millénaire. Ma nuit fut également hantée de quelques cauchemars où je me voyais filant en vol plané en direction du fleuve!

Quand je me réveillai le lendemain matin vers 5h30-6h, les rafts observés la veille n’étaient plus là. Je prenais un solide petit déjeuner et entamai  mon parcours final vers la confluence. Il ne me restait à parcourir ce matin que 4 kms.

 

camp beanmer trail_modifié_1beamertrailbisavec commentaire_1

Campement au mile 63 au dessus du fleuve au lever du jour.

Pendant que j’avançais vers l’est, le soleil commençait à se lever. Sur ma gauche de l’autre côté du fleuve s’élevaient les deux massifs de Temple et de Chuar Butte ; c’est ici qu’a eu lieu la tragique collision aérienne dont j’ai parlé précédemment.

 du mile 63 au petit colorado_1_1

 Du mile 63 à la confluence avec le petit Colorado aux eaux turquoise.

Dans la courbe qui s’annonce je peux également apercevoir les traces de sel des mines sacrées des indiens Hopi et Anasazi.

En cours de route j’ai également franchi The Great Uncomformity et fait un saut de 1200 millions d’années aux alentours du mile 63.  Le randonneur et écrivain Colin Fletcher qui fut le premier après la guerre à faire le parcours de Supai à la confluence sans remonter sur le rim, donna à son livre rendant compte de son exploit, le titre de « The man who walked through time » (L’homme qui marcha au travers du temps). Ce titre convient tout à fait à ces randonnées où l’on est tout à la fois dans le temps et hors du temps.  

Temple Butte au lever du jour

Temple Butte au levé du soleil.

Peu de temps après j’arrive à la confluence du Colorado et du Petit Colorado.

Elle est le point de départ d'un autre trail sans nom, qui remonte l'étroite gorge de l'affluent en direction sud-sud est aboutissant en particulier à un endroit sacré pour les indiens : le Sipapu d'où serait selon la légende sortie la vie.

L'une des particularités de la confluence est de marquer un changement brutal de la direction prise par le Colorado à cet endroit. Jusqu'ici le fleuve se dirigeait à peu prés constamment du nord au sud depuis son passage sous Saddle Mountain qui marque la limite est de la rive nord du parc, dans la région de Jacob Lake. Arrivé ici il prend brutalement un virage à angle droit et se dirige à nouveau plein ouest.

 confluence colorado petit colorado3_1Arrivée à la confluence 

confluence coloradopetitcoloradopanoretraite_1

Vue panoramique de la confluence: à gauche le fleuve, à droite le petit Colorado.

Laissons un instant Powell raconter la crainte que son équipage et lui même éprouvent en quittant le paysage enchanteur de la confluence. Nous sommes le 13 août 1869:

“We are now ready to start our way down the Great Unknown....We have but a month's rations remaining...We are three quarters of a mile in the depths of the earth…”

« Nous sommes prêts à partir pour la Grande Inconnue..Il ne nous reste qu’un mois de vivres…Nous sommes 1200 mètres dans les profondeurs de la terre…. »

 Et voici la phrase célèbre entre toutes de son compte rendu de voyage:

 "We have an unknown distance yet to run, an unknown river to explore. What falls there are, we know not; what rocks beset the channel, we know not; what walls rises over the river, we know not...."

 « Nous avons encore une distance inconnue à parcourir. Quelles chutes y aura-t-il, nous le savons pas; quels rochers obstruent le chenal, nous le savons pas; quelles falaises surplombent le fleuve, nous le savons pas… »

Il ne faudrait pas traduire ce texte car la langue française ne saurait traduire l'émotion éprouvée par un homme pourtant forgé aux difficultés et challenges de toute une vie, dans les trois mots « WE KNOW NOT ». Le français est toujours trop verbeux par rapport à l’anglais n’en déplaise aux intégristes de notre langue.

La confluence marque le passage de Marble Canyon à Granite Gorge.

Le petit Colorado est, je le disais plus haut, trés riche en sels minéraux de toutes sortes qui se déposent au fil du temps sur le lit de la rivière. De couleur blanchâtre ils créent un effet de miroir plus ou moins prononcé qui donne aux eaux cette couleur allant du bleu foncé au turquoise et au vert avec la réflexion du ciel sur la rivière. L'eau y est chaude au printemps et de nombreuses vasques de travertins de calcaire créent de véritables jacuzzis naturels. C'est un havre de paix et de méditation après des journées de marche souvent épuisantes.

Je m'installais tout l'après midi dans une de ces vasques, calé contre l'une de leur parois et relisais l'ouvrage de Powell, pour oublier une civilisation de tumulte et d'intolérance. Je visitais également les restes d'une cabane de prospecteur installée un peu plus haut sur la berge.

Le soir ayant placé ma tente sur une plage de sable fin, bien en arrière du fleuve pour éviter tout risque d'inondation, et hors des limites interdites au camping dans la confluence, je savourais mon repas en regardant le soleil éclairer de ses derniers rayons la falaise de Cape Solitude. 

En 2007 avec mon ami Frank, pilote de ligne et randonneur émérite nous avons fait du « raft stop » ! Ayant la flemme de refaire tout le parcours du trail en sens inverse, nous allâmes parler avec un groupe de rafteurs qui venaient de faire une halte à la confluence et leur demandâmes s’ils accepteraient de nous ramener à Tanner rapid. Ils nous donnèrent leur accord et après une pause déjeuner où nous eûmes droit aux restes, tout le monde n’a pas forcément le même sens de l’hospitalité comme on le verra plus loin, ils nous débarquèrent dans un endroit impossible où nous faillîmes nous rompre le coup pour rejoindre le trail même.

En 1996 les choses furent bien différentes. Je refaisais le chemin en sens inverse dans sa totalité et ma cinquième nuit se passa à Tanner rapid comme la première. Alors que je commençais les préparatifs de mon dîner, je vis accoster au bas de mon campement un raft et son guide. Il me fit savoir que ses clients installés sur la rive opposée me proposaient de me joindre à eux pour le dîner et de passer la soirée en leur compagnie.

Les Américains ont bien des défauts mais il est une qualité incontestable que je n'ai trouvée nulle part ailleurs, c'est leur hospitalité et cette façon de vous mettre à l'aise sans formalisme inutile. Mon arrivée fut d'autant plus fêtée que je déclinais ma nationalité. Ces dames me traitèrent royalement ainsi que l'équipage du raft. Comme toujours sur les expéditions sur le fleuve, la nourriture est copieuse et variée et n'a rien à voir avec mes repas frugaux et lyophilisés de randonneur.

La nuit était déjà bien avancée quand je prenais congé de mes hôtes et demandais à mon rafteur personnel de me déposer à mon hôtel de fortune.

Le lendemain je reprenais le chemin vers le plateau et arrivais vers 17h au sommet juste au moment où une tempête de neige commençait à sévir ce qui n'est pas rare même début juin à Grand Canyon.

Mai 2007- Remontée du Tanner trail sous les éléments déchaînés.

En Mai 2007 le retour devait être encore plus éprouvant.

Arrivés avec Frank au col qui sépare Escalante Butte de Cardenas Butte, Frank me proposa soit de continuer la montée, il était environ 15h30 et cela nous aurait mené au sommet vers 17h-17h30, soit de se reposer la nuit ici et de poursuivre tôt le lendemain matin. Je n’avais sincèrement pas de préférence et nous nous mîmes d’accord en fin de compte pour faire une nouvelle halte pour la nuit.

Il faisait encore chaud autour de 30-35°C à l’ombre.

Nous prîmes notre temps pour nous installer. Frank en bon sportif aguerri par des années de carrière militaire en temps que Lieutenant Colonel de l’US Air Force, m’avait rejoint l’avant-veille avec un équipement limité. Pas de tente sinon une bâche qu’il n’avait pas eu à utiliser et des vêtements ultra légers dont une sorte de coupe vent qui ne devait le protéger de pas grand-chose.

Vers 18h le vent commença à se lever. En guise de campement Frank s’était placé sous un arbre, avait tendu au dessus de lui sa bâche et en avait mis une autre parterre comme tapis de sol. Il coucherait ainsi quasiment à la belle étoile sans aucune autre protection.

C’était sans compter sur les changements brutaux et imprévisibles de temps à Grand Canyon.

En quelques minutes, les nuages commencèrent à s’accumuler au dessus de nos têtes. A l’horizon ouest des nuages noirs arrivaient à grande vitesse et déjà des grondements sourds et quelques éclairs se mêlaient au flamboyant couché du soleil.

A 18h30 l’orage était au-dessus de nos têtes dans un fracas assourdissant. Les éclairs aveuglants se succédaient sans interruption. Frank alla s’abriter sous sa bâche, oubliant au passage qu’il était sous un arbre merveilleux paratonnerre pour attirer la foudre.

Je m’étais glissé dans ma tente trop petite pour accueillir deux campeurs. Je dispose de deux tentes dans mon équipement et ne pouvant imaginer que mon compagnon arriverait avec un matériel aussi rudimentaire, je n’avais pas pris ma tente 3 places qui aurait pu l’abriter.

Je n’ai pas honte de dire que j’étais particulièrement impressionné par le déchaînement des éléments au-dessus de nos têtes. J’essayais de ne pas trop y penser en lisant un bouquin mais à chaque éclair et coup de tonnerre, je sursautais.

Nous avions eu le temps avant le début du feu d’artifice de prendre notre dîner d’autant plus que la température en raison du vent avait commencé à chuter brutalement et qu’un repas chaud après une journée fatigante était le bienvenu.
Une fois dans la tente il n’était pas question de faire fonctionner le petit réchaud à gaz au risque de mettre le feu à notre abri.

La nuit tomba sans que le déchaînement de Donner ne se calmât. Bien au contraire. A la foudre et aux éclairs s’ajoutait maintenant une pluie diluvienne. Dieu merci, nous étions sur le sommet du col et donc les eaux ruisselaient pour leur majorité de chaque coté du petit plateau où nous étions. Plus bas les choses eussent été plus critiques car c’est par ce type de temps que se forment les flash-floods.

Je finis par m’endormir mais réveillé par intervalles par les coups de tonnerre. La température continuait de chuter et je mis mon coupe vent. Je me bénissais de l’avoir pris alors que finissant de ranger mes affaires dans mon sac à dos, j’avais hésité à le prendre 4 jours plus tôt. Il avait l’avantage sur celui de Frank d’être destiné au ski et donc tout en étant relativement léger, était autrement plus protecteur que celui de mon camarade qui aurait aussi bien pu s’abstenir de mettre le sien. Il devait s’avérer de plus particulièrement commode en raison de ses nombreuses poches hermétiques et imperméables.

Vers deux ou trois heures du matin, l’orage sévissait toujours, à chaque éclair je comptais les secondes suivantes pour évaluer la distance nous séparant de la chute de la foudre et mon appréhension grandissait car celle-ci diminuait pour ré-augmenter quelques minutes plus tard.

Tout à coup je sentis une sensation d’humidité sous mes mains.

L’eau en abondance commençait à s’infiltrer dans la tente.

Je n’avais pas eu le temps de tendre au dessus de ma tente ma bâche anti pluie. L’eau gouttait par le plafond. Sur celui-ci j’ai une poche qui me permet d’y glisser mes papiers d’identité et mon portefeuille ainsi que ma frontale qui me permet de lire sans la serrer autour de ma tête.

Ma caméra et ses chargeurs étaient posés sur le sol et là l’eau commençait à s’accumuler également.

Je glissais tout ce matériel essuyé avec mon mouchoir dans mes diverses poches en principe étanches.

Que découvrirai-je en me levant le lendemain matin ?

Enfin autour de 5h30 du matin, l’orage cessa ou du moins la pluie car on entendait encore au loin les coups de tonnerre.

Je sortis de ma tente. Mes chaussures restées dans l’antichambre de celle-ci étaient humides et baignaient dans 5 à 6 centimètres de boue rouge.

Dehors c’était pire. Outre la mélasse ocre rouge dans laquelle on pataugeait, la température indiquée par ma montre de randonnée était tombée à 5°C. Une chute de 30 degrés en moins de 12 heures!
Stupéfait je découvrais un Frank ronflant comme une locomotive dans son sac de couchage, flottant littéralement sur un coussin liquide! Rien n’émeut ce garçon de 60 ans passés!

Mes mouvements  le réveillèrent enfin alors que je finissais de ranger mon équipement trempé. J’avais rapidement avalé un petit déjeuner pour au moins récupérer quelques calories que le froid et l’humidité m’avaient fait perdre.

A 6h nous entamâmes le dernier tronçon vers le sommet quelques 500 mètres plus haut.

Une attention soutenue était requise pour ne pas glisser sur les rochers ou le chemin boueux et glissant.

Au fur et à mesure que nous montions la température continuait de baisser. Frank bien entendu commençait à se maudire d’avoir été aussi imprévoyant et accélérait la cadence.

Avais-je dans ma précipitation mal équilibré le contenu de mon sac à dos, le fait est qu’une douleur aigüe ponctuait chacun de mes mouvements à mon épaule gauche et coupait ma respiration.

Frank dont l’égoïsme défie l’imagination s’impatientait quelques dizaines de mètres plus haut. Exaspéré par son attitude et ses remarques, je lui disais de ne pas se soucier de moi et de poursuivre, son impatience étant plus irritante qu’encourageante.

Enfin vers 8h30 nous arrivâmes au sommet, Frank avec 15 à 30 minutes d’avance sur moi.

Il faisait 0°C, le parking de Lipan Point était cerclé de quelques 10 cm de neige fraîche!

Tout sourire Frank attendait au sommet du trail.

Sans un mot j’allais à la voiture les doigts gelés. Je fouillais dans mes poches, grelottant je finissais par trouver mes clés de voiture et ouvrais le véhicule. Les doigts glacés je mettais le contact et la climatisation au maximum de chaleur. Mes vêtements malgré le coupe-vent étaient trempés de sueur et d’humidité. Il fallait que je me change. Pendant que transi je faisais l’opération, Frank commença à me demander ce que je pensais de mon véhicule. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase de ma fureur!

«Elle roule » lui dis-je furieux!

Nous nous quittâmes sèchement malgré son invitation à passer le voir à Phoenix avant de reprendre mon vol pour Paris via Dallas.

Enfin dans une tenue sèche et la voiture réchauffée, je prenais la route vers la sortie est du Canyon, en direction de Cameron, un trading-post prés du pont enjambant le petit Colorado et pourvu d’un motel où j’avais une réservation pour la nuit.

Je devais passer une grande partie de l’après midi à nettoyer la totalité de mon équipement imprégné de boue. Le soleil revenu me permit de faire sécher tout cela sur le toit de la voiture.

Ainsi se terminait ma deuxième visite au Tanner et Beamer trail. Je me jurais que je ne referai plus de randonnées avec mon compagnon invivable.

Un coup de fil à mes amis Mike et son épouse les rassura sur mon sort et me permit de vider mon sac de ma déception d’avoir eu Frank comme compagnon de route.

Ce garçon considère la randonnée plus comme un exploit sportif qu’une activité de détente et de dépaysement. Cette façon de voir les choses me dépasse. Je ne suis pas là pour m’inscrire dans le livre des records. Les exploits annuels des participants à la course Nord-Sud et retour de Grand Canyon ni ne me font envie ni ne m’impressionnent. Je les considère comme une façon de vouloir satisfaire un ego démesuré et totalement dépourvu du moindre intérêt.

Grand Canyon ce n’est pas fait pour cela. Ce n’est pas un lieu d’entraînement de sportifs de haut niveau  ou de marathoniens.
Grand Canyon est un lieu de réflexion sur le sens de la vie, sur notre histoire et notre place dans un monde de fous qui passe son temps à s’entredéchirer pour satisfaire un besoin de puissance inepte.

Que sommes-nous au regard des 2500 millions d’années à ciel ouvert qui nous défient et devraient nous apprendre à rester humbles ? 

Le Grand View Trail :

Grandview trail est un autre parcours de randonnée de la rive sud juste avant  le Tanner trail.

C’est un chemin relativement facile, sans point d’eau et long de 4.8 kms menant à Horseshoe mesa. Le dénivelé est d’environ 800 mètres soit une pente moyenne de 17%.

Il aboutit à Horseshoe Mesa un plateau qui permet par l’ouest de rejoindre le Tonto trail et à l’est le Hance Trail descendant jusqu’à Hance rapid.

Le prospecteur Pete Berry y découvrit un gisement de cuivre et des vestiges de ses mines sont toujours visibles. Il est tout à fait déconseillé de s’y aventurer car elles sont très instables et risquent de s’effondrer. Je n’ai parcouru que la moitié de la descente pour me chauffer en 2003 avant ma première descente du Hermit trail le lendemain. Le début du parcours se fait en zigzagant dans la falaise au milieu des arbres, certains coupant carrément le chemin.

On a une superbe vue plongeante sur le canyon et une partie de la gorge. En partant tôt le matin il est envisageable de faire l’aller et retour dans la journée.

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Symphonie Minérale
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