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Symphonie Minérale
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12 janvier 2015

Chapitre 8- Allegro furioso in modo di tempesta - Descente en raft du Colorado

De retour à mon bureau à la banque Paribas, après mes randonnées de 1990-1993 et 1994, le bruit courut auprès de mes collègues des expériences et des merveilles que j’avais pu découvrir. Je travaillais en 1993 au centre de formation de la banque, et l’on me proposa de décorer le centre avec des photos que j’avais prises au cours de mes randonnées.

En juillet 1994 un certain nombre de mes collègues suggérèrent que j’organise un voyage de groupe.

Sur le moment je dois bien le dire, j’hésitais quelque peu. Je suis d’un tempérament très indépendant et je me disais que je me trouverai non seulement confronté aux problèmes d’organisation mais également à celui de leader dans un univers hostile et accompagné de Français dont le principal défaut était l’indiscipline. Or c’est moi qui devrais directement ou indirectement assumer la responsabilité en cas de problèmes.

Cependant l’envie de faire partager les joies et moments d’émotion que m’avaient procurés ces randonnées et ces paysages exceptionnels était très forte.

J’ai une sale manie de vouloir faire profiter mon prochain des moments exceptionnels que j’ai pu vivre. En général je m’attire immanquablement des reproches du genre, « vouloir poser, en montrer aux autres, prétention, orgueil, etc… »

L’un des défauts majeurs de nos compatriotes est l’envie. On l’observe dans tous les domaines, social, politique, économique. Les Français se récrieront et protesteront tant qu’ils pourront, ce trait de caractère est constant et rend la vie souvent intolérable.

Je le sais et pourtant je suis incorrigible et à chaque fois, je tombe dans ce satané piège.

Cette fois encore, je me laissai prendre à ma fâcheuse sottise et allais payer amèrement le prix de ma générosité.

Je finis par commencer de faire une tentative d’évaluation budgétaire. Dans mon esprit il ne s’agissait pas de partir une semaine mais quinze jours et d’adjoindre à la randonnée, une descente partielle en raft du Colorado.

J’avais vu le film Imax montrant cette extraordinaire aventure et tout en étant angoissé à l’idée de me trouver dans ce contexte, l’envie se faisait de plus en plus pressante.

Après une analyse aussi fouillée que possible des coûts à envisager, avoir contacté plusieurs organismes de rafting, les hôtels à Las Vegas notre point d’entrée aux USA, j’aboutissais à un budget de l’ordre de 10000 francs  soit 1525 € par participant.

Le voyage comprenait :

Un vol aller retour Paris-Dallas Fort Worth-Las Vegas-Paris

Deux nuits d’hôtel à Las Vegas

La location de deux Cessnas entre Boulder et Cliff Dwellers Lodge airport à quelques kilomètres du point de départ du raft à Lee’s Ferry

Une descente en raft de 3 jours et demi jusqu’à Phantom Ranch

Une randonnée de 6 jours / 5 nuits entre Phantom Ranch et Hermit’s Rest via Indian Gardens, Monument creek et Hermit creek avec sortie du Canyon à Hermit’s Rest

Enfin une dernière nuit à Grand Canyon Village avant de rejoindre Las Vegas pour le retour vers Paris.

Un tel prix ne pourrait être réalisé aujourd’hui compte du coût du transport aérien et de l’inflation des prix des descentes en raft. Une descente de 10 jours coûte aujourd’hui environ 3000$ soit environ 2500 euros soit proportionnellement pour trois jours autour de 850€ contre 550€ il y a 15 ans.

Muni de ce budget prévisionnel,  je lançais un appel à candidature en précisant que le groupe se limiterait à 10 personnes dont 8 collaborateurs de la banque, ma fille et moi-même.

La préparation de ce voyage demanda un an.

D'une part il convenait, étant donné le nombre limité de descentes en raft autorisé par les autorités du parc pour des raisons de sécurité, de faire une réservation un an à l’avance d’autant plus que ne faisant pas la descente totale des quelques 300 kms du fleuve, cela réduisait le nombre de dates proposées.

Il fallait en même temps demander le permis de groupe de 10 personnes en donnant deux options de trajet pour augmenter nos chances d’obtention des permis de randonnée.

Une fois ces deux points acquis, la négociation des vols transatlantiques et intérieurs ne poserait plus de problème pas plus que les réservations d’hôtels.

A la fin de l’été muni des réservations ci-dessus, je faisais verser un acompte en dollars par chacun des participants qui était déposé sur un compte en devises de la banque, faveur exceptionnelle que m’accorda celle-ci. Progressivement les acomptes à verser aux différents fournisseurs étaient transférés ce qui simplifiait les choses et me permettait facilement de fournir à chacun un relevé précis des dépenses qu’il avait déjà engagées.

Cet aspect financier réglé ainsi que celui des dates possibles de désistement avec faculté de récupérer ses fonds partiellement ou en totalité, je me concentrai sur la préparation du voyage.

Deux réunions avec les participants au cours desquelles je leur fournissais une importante documentation leur expliquant ce qu’ils allaient voir, les obstacles qu’ils allaient éventuellement rencontrer, leurs obligations  et divers documents concernant les lieux qu’ils allaient découvrir tous pour la première fois.

Une check-list du matériel nécessaire leur avait été fournie pour que chacun puisse me faire part de ses besoins suffisamment tôt pour me permettre de commander aux Etats Unis le dit matériel et le faire acheminer par un transporteur sérieux vers le Lodge où nous passerions notre dernière nuit avant le départ en raft. Je suis un client depuis plusieurs années de la société américaine REI basée à Seattle et équivalente du Vieux Campeur à Paris et mieux aguerrie que la Française à la randonnée dans cet univers hostile et sans commune mesure avec ce que l’on peut rencontrer en France s’en rapprochant. De plus les coûts d’acheminement du matériel seraient moindres.

15 jours à peine avant le départ, bien au-deçà du délai fixé pour la remise des commandes, l’un des participants se réveilla avec une demande de matériel. Furieux je lui faisais croire que je ne garantissais en aucune façon que sa commande puisse être acheminée à temps et qu’en tous cas le prix de groupe accordé pour le transport ne pourrait pas lui être appliqué.

Il eut la chance que ma commande groupée était encore en cours de préparation à Seattle et put être complétée.

Le jour fixé pour le départ arriva.

L’heure du rendez vous à Orly sud était fixé pour 7h30. Cela nous permettait de faire un enregistrement dès l’ouverture des comptoirs d’American Airlines notre transporteur et de bénéficier d’un Pass gratuit à l’Admiral’s Club de la compagnie normalement réservé aux passagers en Classe affaire et Première classe, geste fait par le directeur commercial de la compagnie que je connaissais personnellement. Cela nous permettait ainsi de nous assurer un emplacement groupé pendant les deux vols aller.

Evidemment le même participant en retard pour ses commandes arriva avec ¾ heures de retard à l’enregistrement. Pour me simplifier la vie l’une des jeunes épouses d’un des participants  s’était trompée de nom de famille pour l’établissement de son billet qui portait son nom de femme mariée alors que son passeport portait son nom de jeune fille. Nouveau délai nécessité par la réémission du billet au risque sinon qu’elle ne puisse pas passer la frontière à Dallas. Par gentillesse les frais de réémission du billet ne furent pas appliqués par American Airlines. Evidemment la charmante dame trouvait tout cela normal et comme un droit acquis! Vive la France!
De près de trois heures de battement avant l’embarquement celui-ci se réduisit à tout juste une heure et demie. J’avais du mal à contenir mon exaspération devant une attitude aussi puérile de la part d’adultes habitués à prendre tous les jours des responsabilités importantes dans la banque.

Bien entendu mes efforts pour que nos sièges soient contigüs pour le vol furent vains du fait de ces tergiversations et retards en tous genres. Au lieu de nous enregistrer en moins de dix minutes, la procédure dura plus d’une heure !

Une fois à bord, le vol se déroula sans encombre avec un changement d’appareil à Dallas et une arrivée à l’heure à Las Vegas, en début de soirée. La navette de l’hôtel nous mena sans encombre avec tout notre chargement de bagages et chacun occupa sa chambre, moi-même partageant la mienne avec mon phénomène qui ne trouva rien de mieux que de nous demander de lui trouver un magasin pour acheter des faux ongles pour sa partenaire avec qui il faisait des concours de danses de salon en France! Le groupe l’abandonna à sa recherche et alla dîner puis se coucher après un tour sur le Strip (Las Vegas Boulevard) célèbre pour ses hôtels à thème et ses spectacles d’une qualité sans pareille. Nous ne pouvions pas assister à l’un d’eux étant épuisés par nos près de 15h de voyage et 9 heures de décalage horaire.

Le lendemain matin, vers les 11h, le van de la compagnie privée chargée de nous acheminer vers Cliff Dwellers Lodge, vint nous chercher et nous conduisit au petit aéroport de Boulder City Municipal Airport, non loin de Las Vegas sur la route menant à Grand Canyon.

Une fois arrivés et l’heure du départ sonnante, il était dit que je n’aurais pas la paix !

Nous devions nous répartir en deux groupes de cinq à bord des deux Cessnas loués.

Pendant près d’un quart d’heure ce furent des discussions de marchands de tapis à qui irait dans tel avion et occuperait la place à coté du pilote ou pas!

Exaspéré à son tour, le chef des deux pilotes et le responsable de la compagnie me demandèrent de faire cesser ce jeu puéril car au train où allaient les choses nous allions perdre notre créneau horaire pour pouvoir décoller et risquerions en plus de rencontrer un orage en arrivant en vue de notre piste d’atterrissage en terre battue! Ce petit détail eut un effet bénéfique et enfin chacun s’installa.

Le vol vers Marble Canyon fut magnifique car évidemment à quelque 500 à 800 mètres au dessus d’une bonne partie de la gorge et de ses rapides.

L’atterrissage à Cliff Dwellers Airport  nous fit penser à certaines séquences de films d’Indiana Jones, virage sur l’aile en passant au dessus de Badger Rapid et plongée vertigineuse vers le sol sur une piste qui était légèrement en pente et permettait ainsi à l’appareil de ralentir rapidement.

Au bout de la piste une carriole nous attendait pour prendre nos bagages et après une dizaine de minutes de marche à pied nous arrivions au Motel placé juste en dessous des Vermillion Cliffs seule habitation à des kilomètres à la ronde.

Etonnement, je n’eus pas droit à des commentaires s’étonnant qu’un bus de la « compagnie » ne vienne nous prendre pour nous acheminer à l’hôtel! Je commençais à imaginer n’importe quoi et pourtant j’étais encore loin de prévoir ce que me réservaient les jours à venir!

Non il n’y avait pas d’aérogare, ni de charmante hôtesse appelant les passagers d’un ton doucereux, à reprendre leurs bagages sur tel tapis, dans telle salle de débarquement!

A quelques centaines de mètres de là, la nationale permettant de passer de la rive nord à la rive sud de Grand Canyon, traverse le seul pont existant à l'époque quelque 100 mètres au dessus du fleuve dont les eaux masquent par leur calme apparent l'arrivée imminente du premier rapide de Soap Creek.

Autour du motel des monolithes de grés rouges reposent sur leur pointe et donnent un aspect assez fantastique à ce plateau qui s'étend à perte de vue, délimité au nord par les Vermillion Cliffs et à l'est par les Echo Cliffs, tandis qu'on aperçoit au loin Saddle Mountain, barrière naturelle dont le sommet est le plateau de la rive nord du parc national. On peut en 4x4 rejoindre le bord du canyon et avoir une vue plongeante sur le fleuve à Saddle Canyon, affluent à sec du Colorado. De là il est possible de monter sur la rive nord à condition de maitriser la conduite de ce type de véhicule, sur une piste très dégradée qui traverse la National Forest et rejoint la nationale qui pénètre dans le parc dans une direction Nord Sud, venant de Jacob Lake.

Le soir un dîner copieux nous réunit tous sur la terrasse du motel et après le dîner notre hôtelier nous projeta une vidéo de ce que serait notre descente en raft histoire de nous faire passer une bonne nuit de cauchemars!

Nos commandes avaient été livrées quelques jours plus tôt et tout y était.

Après un bon et copieux petit déjeuner notre rafteur arriva sur le coup des 6 heures du matin, et avec armes et bagages nous prîmes le chemin de Lees Ferry. Là deux passagères se joignirent à nous. Elles devaient faire la descente complète jusqu’à Grand Wash Cliffs.

Notre équipage se composait de Bob le rafteur et de son assistante dont j’ai oublié le prénom.

Avant d’embarquer, une fois les bagages solidement arrimés et bâchés, Bob nous donna les consignes de sécurité et en particulier nous expliqua comment surnager en cas de chute dans l’eau glacée du fleuve (6 à 10°C tout au long de l’année). Il fallait se laisser porter par le courant, les pieds face à soi, en une position légèrement assise ce qui serait facilité par le port de notre gilet de sauvetage rouge qui nous permettrait aussi d’être facilement repérable au milieu de l’écume des vagues des rapides. Cela dit il nous rappela à toutes fins utiles que nous ne pourrions rester dans cette inconfortable position que 5 à 6 minutes avant d’être saisi d’hypothermie et de nous noyer irrémédiablement! « Bon voyage », dit-il en Français avec un grand sourire  devant nos visages quelque peu soucieux!

En général lorsque plusieurs rafts font partie de la même descente, le premier qui passe le rapide joue le rôle de ramasse miettes et s’arrête à la sortie du rapide pour vérifier que tout se passe bien voire rattraper tout baigneur involontaire, le dernier  joue le rôle de voiture balai !

Lees Ferry outre qu'il est le point de départ de toutes les expéditions sur le fleuve, est également un lieu historique et comporte une série d'habitations en assez bon état de conservation.

Lees Ferry trouve son origine dans le personnage de John D.Lee, mormon qui s'installa ici et construisit un ferry en 1871, pour traverser le fleuve en l'absence de tout autre moyen entre les deux rives. C'est ici que la Paria river rejoint le Colorado. Il fut financé par une église mormone. Jusqu'en 1928 date de la construction du 1er pont au dessus de Marble Canyon, Navajo Bridge, aucun autre moyen de traversée n'était possible.

Lee n'avait pas que ce seul titre de gloire à son actif. Il avait participé activement au Mountain Meadows Massacre en 1857 et était recherché par la justice. La popularité de son entreprise fut telle qu'il dut fuir l'arrivée de ses justiciers.

Marié à 19 épouses, père de 17 enfants, il faisait partie de diverses communautés mormones. En 1856 il rejoignit comme agent des affaires indiennes, une organisation de l'état fédéral chargé d'aider les communautés indiennes dans l'établissement de leurs fermes dans la région du comté d'Iron, en Utah.

En septembre 1857, un groupe d'émigrants de l'Arkansas, les Fancher, campa prés de Mountain Meadows au sud de l'Utah. Cet endroit était le point de départ de la longue et difficile traversée du désert de Mohave en direction de la Californie.

Une controverse existe sur les responsables de l'attaque: des mormons vivant dans les parages ou des Indiens. Une chose est certaine, Lee faisait partie du groupe des assaillants et le siège dura 4 jours et eu pour résultat le massacre de 120 des membres du groupe Fancher. Les seuls survivants furent des enfants en bas âge.

Lee s'est toujours défendu d'avoir été l'instigateur de l'attaque, prétendant obéir aux ordres de ses supérieurs. En 1860 l'affaire remonta au niveau des autorités de l'Etat et Lee se trouva donc impliqué  avec d'autres participants et l’objet de poursuites judiciaires.

En 1870 sa communauté religieuse l'excommunia. Arrêté en 1874, il fut jugé et condamné à mort. Il prétendit avant sa mort, avoir été forcé d'impliquer dans l'affaire, Brigham Young un des dirigeants mormons de l'époque.

Il fut fusillé sur les lieux mêmes du massacre le 23 Mars 1877.

En 1961 sa communauté religieuse le réintégra en son sein à titre posthume.

Quelques restes du ferry sont encore visibles sur les lieux non loin du ponton de départ du raft ainsi que des baraquements construits par Lee.

Notre société de rafting était la Ted Hatch Cie, une des toutes premières à avoir exploité les descentes en raft sur le fleuve.

Notre moyen de transport était un raft dérivé des pontons utilisés pas l'armée américaine lors du débarquement pendant la seconde guerre mondiale. Avec son chargement complet et ses 14 passagers c'est plus d'une tonne et demi qui allait affronter les quelques 60 rapides qui nous séparaient de Phantom Ranch à un peu moins de 161 kms en aval. Le raft était équipé d'un moteur.

Plusieurs moyens de transport existent pour ces descentes du fleuve.

Raft motorisé, Raft propulsé à la force du poignet et des biceps par le rafteur lui-même, ou par les passagers sous la direction du rafteur, canots appelés Dories, dérivés des célèbres barques renforcées utilisé par le premier explorateur du fleuve en 1869, enfin kayaks pour les plus téméraires.

 

Jour 1 : Matinée - De Lee's ferry à l'entrée de Sheer Wall rapid. (14.5 miles/23 kms)

 

Nous allons parcourir quelque 23 kms. Nous déjeunerons au bord du fleuve une fois passé ce dernier rapide.

Nous allons passer dans la matinée, 7 rapides dont Paria riffle (mile 1), Cathedral rapid (mile 3), Badger rapid (mile 8), Soap creek (mile 11).

Chaque rapide est caractérisé par son dénivelé et une cote de difficulté comprise entre 0 et 10. Cette cotation peut varier en fonction des conditions climatiques et des débris qui se sont accumulés dans le rapide lui-même. Il y a en général un rapide dés que le fleuve rencontre un de ses affluents, lequel déverse ses alluvions au moment des pluies torrentielles d’été ou à la fonte des neiges. Par ailleurs en période de basses eaux du Colorado, les rapides présentent des difficultés accrues. Les deux derniers rapides avant notre pause déjeuner sont de force 4-6 et 5-6. La longueur du rapide joue également sur la difficulté de son passage.

Pour nous protéger du froid de l'eau, j'avais recommandé à mon groupe le port de shorty de plongée qui atténuerait le premier choc de l'eau glacée. Ce complément de bagage fut particulièrement apprécié de tous.

Chacun d'entre nous avait enfin, un sac étanche où mettre snacks, matériel photo et objets de première nécessité durant le parcours.

C'est avec une certaine appréhension que le groupe vit approcher Paria riffle peut après le passage du mile zéro marqué par un câble suspendu au dessus du fleuve, entre les deux berges.

Le processus est en fait toujours le même, avant le rapide, l'eau retenue par un léger barrage artificiel de rochers paraît bien calme. Un vrai lac couleur vert bouteille au printemps, chocolat en été à cause des flashs floods. Pourtant au loin à quelques 200 mètres de là un sourd grondement comme celui d'un train en marche, amplifié par la réverbération des parois de grés ou de schistes, annonce le début du prochain obstacle.

Observez la pièce où vous vous tenez en lisant ces lignes et regardez au plafond situé au dessus de votre tête à 2,50 m voire 3 mètres, voilà la hauteur minimum qui sépare l'entrée du rapide de son terme quelques 100 ou 200 mètres plus loin quand on en sort.

Sous l'eau pratiquement invisible sinon par la forme des vagues qu'ils provoquent, une masse de rochers accumulée au cours des siècles, qui changent de place au gré du courant et des nouveaux sédiments précipités dans le lit du fleuve à chaque orage d'été. Il y a aussi des troncs d'arbres et autres projectiles qui n'ont pu résister à la force herculéenne des flashs floods dans les affluents du fleuve.

L'écume est de plus en plus distincte, le bruit de plus en plus fort.

Et soudain le voici à quelque mètres, la cassure de l'eau juste avant l'écume, est translucide et on peut dans certains cas voir les obstacles rocheux; le raft plonge, proue la première dans le premier trou et remonte immédiatement à 20 ou 30 degrés sur la première vague, une autre la suit et ainsi de suite tandis que l'on se sent précipité comme dans un ascenseur privé soudain de sa suspension. Puis progressivement le raft se stabilise, le moteur est de nouveau perceptible et le calme revient.

La sensation est à la fois fascinante, et serre l'estomac comme lorsqu'on à le trac en rentrant sur scène mais fait place trés vite à une euphorie qui va grandir de rapide en rapide et peut entrainer des comportements irréfléchis pouvant nous faire risquer le plongeon tête la première dans les eaux bouillonnantes de cette véritable machine à laver!

Dans la suite de ce chapitre nous indiquerons le nom du rapide suivi de ses caractéristiques entre parenthèses, force/10 et Hauteur en mètres de dénivelé.

La partie du fleuve où nous nous trouvons s'appelle Marble Canyon dénommée ainsi par Powell qui pensait que les parois étaient de marbre.

Badger rapid ( 4-5/10 H=4.5m) est le premier à nous faire quelques frayeurs! Il se trouve à la confluence de deux affluents du fleuve, Jackass creek sur la rive gauche et Badger canyon sur la rive droite. C'est dans un véritable toboggan que nous faisons notre véritable baptême du feu!

3.2 Kms plus loin nous croisons Ten Mile rock dont il ne reste plus grand chose, l'érosion ayant largement détruit ce rocher de plusieurs mètres de haut qui trônait non loin de la rive droite, dressé vers le ciel tel un doigt vengeur!

1600 mètres plus loin nous entrons dans Soap creek rapid (5-6/10 H=4.8m) au courant déjà plus impressionnant que le précédent. C’est le cours d’eau de Soap Creek sur la rive droite qui a créé le rapide. L’eau gicle de tous côtés ponctuée par les cris des passagers copieusement arrosés.

Comment ne pas être propulsé par-dessus bord dans les rapides ? La technique, en principe à toute épreuve, consiste à se tenir au raft en tenant de la main extérieure au raft, (gauche si vous êtes à gauche, droite si vous êtes à droite du raft) le cordage d’amarrage des bagages derrière vous, et à tenir de l’autre main le cordage qui est le plus proche de vous devant vous. De cette façon les sauts du raft et son tangage vous ramène en principe automatiquement contre la masse des bagages placés au centre du raft, au dessus des containers contenant les provisions du voyage et dont une partie plonge sous la ligne de flottaison dans un frigidaire ambulant! Avoir des boissons fraiches à bord ne pose aucun problème. Les containers sont placés de telle sorte que leur fonds est en contact avec le courant qui les maintient à température constante.

Après Soap creek, nous passons Browns Riffle, une petite plaisanterie pour débutant !

En fait ce petit frissonnement de l’eau commémore la mémoire du Président de la Colorado Canyon Pacific Railroad Cie qui se noya en cet endroit en 1889. Il ne faut pas grand-chose pour perdre la vie ici et pourtant statistiquement les descentes en raft sont plus sûres que les randonnées dans Grand Canyon et recensent le moins d’accidents mortels.

Nous avons parcouru 18 kms depuis notre point de départ. Une inscription  a été gravée sur le rocher par un des passagers de l'expédition de 1889, l'un de ses membres d'équipage, Peter Hansbrough qui devait mourir noyé 5 jours plus tard  au mile 44 qui porte son nom. Il s’agissait  alors des travaux d'exploration en vue de la construction d'une ligne de chemin de fer le long du fleuve! Quelle idée !

Nous arrivons 5 kms plus loin, en vue de Sheer Wall rapid ( 2-3/10 H=2.70 m.), dernier rapide de la matinée. Il se trouve un peu en aval de Tanner Wash  qui est à l’origine du rapide et ne présente aucun danger.

Nous accostons sur la rive gauche du fleuve. C’est l’heure du déjeuner.

 Sheer Wall rapid - au fond l’écume du début du rapide    .

sheerwall rapid amont_modifié (1)

Bob profita d'une des rares petites excroissances de rochers formant un véritable ponton naturel, pour amarrer le raft solidement et nous faire débarquer.

sheerwall rapid amont_modifié

Deux opérations ont lieu, d'une part préparer sur une table pliante le déjeuner à l'américaine consistant d'un repas froid de divers sandwiches en quantité abondante, boissons chaudes et froides, et desserts! L'autre plus prosaïque mais nécessaire, l'installation de toilettes portatives chimiques ainsi qu'un ensemble de cuvettes permettant de nettoyer le peu de vaisselle utilisée en la faisant passer dans différents bains désinfectants et rinçant.

Il y a deux règles impératives dans ce genre d'expédition. 

  Vue amont sur notre ponton naturel

D'une part ne laisser aucune trace de son passage dans le canyon, de quelque ordre que ce soit. Les lieux doivent être laissés comme on les a trouvés voire nettoyés de tous déchets que des campeurs moins sourcilleux auraient abandonnés. C'est un des grands charmes de ce merveilleux parc. Son côté vierge de toute fréquentation humaine.D'autre part en raison des variations de températures, toute négligence sanitaire peut être la cause de troubles digestifs pouvant devenir particulièrement graves pour les passagers et cause de déshydratation catastrophique pouvant avoir des conséquences mortelles. Tout secours se trouve à de grandes distances. Les téléphones satellitaires ne passent pas partout dans les profondeurs du canyon et les points d'atterrissage possibles d'hélicoptères de secours sont fort réduits et présentent de toute façon un réel danger du fait de la variation importante dans la portance de l'air en raison des différents courants chauds et froids. Cette hygiène sourcilleuse est la garantie d'un voyage sans accrocs. 

Jour 1 : Après midi - De Sheer Wall rapid à Shinumo Wash. (15 miles/24 kms)

Vers 14 heures  nous reprîmes la descente. Quand nous passons le rapide, grisés par les précédents, un concert de déception accueille ce remous de rien du tout !!!! La crainte faisait place à une euphorie grandissante que trois jours plus tard, un évènement allait largement tempérer... Sheer Wall rapid doit son nom aux falaises verticales qui l'entourent. Nous commençons alors à entrer dans le vif du sujet, les rapides se succèdent de façon de plus en plus rapprochée ; en tout ce sont 17 rapides qui se suivent sur les 21 kms qui nous restent à parcourir jusqu'à notre première escale nocturne à Shinumo Wash non loin de Silver Grotto que nous devons visiter. Nous sommes ainsi rentrés dans la zone que les rafteurs appellent avec humour "The Roaring Twenties" (Les années Folles). 

 

Passage d'un rapide : Il s'approche........

 

avant la vague_modifié

L'un d'entre nous, toujours le même à se distinguer, manque par deux fois dans 21 mile rapid de se retrouver à l'eau! Le raft nous emmène à un train d'enfer en travers des rapides, manœuvre volontaire de Bob pour d'une part stabiliser autant que faire se peut notre embarcation mais aussi malicieusement pour répartir équitablement la douche glacée entre les participants! C’est un moyen d’apprécier également la vue à 360° de ce paysage grandiose.

Les rapides se succèdent à raison d’un tous les kilomètres. Au moins nous ne souffrons pas de la chaleur environnante. Nous sommes trempés des pieds à la tête. 

Sur le moment nous n'avons pas compris sa manœuvre et pensons que le raft n'est plus maîtrisé ! En même temps les vagues nous recouvrent de tous les côtés, éclats de rire un peu forcés, mais aussi cris de forcenés des autres !

L'après midi s'écoule au rythme des rapides successifs, des cris et éclats de rire de chacun précédés d'un silence anxieux lorsque surgit devant nous la frise blanche de l'écume marquant l'entrée du rapide suivant.

Vers le mile 25 nous croisons Cave's springs. Cet endroit rarement visité a permis de faire une découverte fascinante, celle en 1969-1970, de 60 figurines faites avec des roseaux remontant à 3000 ou 4000 ans ainsi qu'aux ossements d'animaux aujourd'hui disparus. L'accès de la grotte est interdit pour protéger une colonie rarissime de chauves souris. Avant la décision en 1986 d'interdire l'accès de ce lieu aux touristes, progressivement les animaux le quittèrent car ils sont très vulnérables à la présence humaine. Depuis les dernières mesures on observe leur retour progressif.

Dans la vague_modifié

On est en plein dedans!.................

Nous arrivons enfin vers 16h30 à destination : Shinumo Wash dont la principale attraction est Silver Grotto. Nous accostons. Trés vite je m'aperçois que la femme d'un de mes collègues a le visage rouge et congestionné. Elle souffre d'une insolation évidente et n'a pas suivi les recommandations de Bob ni les miennes lors des deux séances de briefing faites à la maison avant le départ:

QUAND ON COMMENCE A AVOIR SOIF ON A PERDU DEJA PRES DE LA MOITIE DE SES FLUIDES ET ON PEUT AVOIR DES MALAISES DANGEREUX POUVANT ALLER JUSQU'AUX COMPLICATIONS CARDIAQUES!

Bon dieu! Dans quelle langue faut-il parler pour être entendu ?

Elle a évidemment une migraine carabinée. Je l'installe avec son mari et Bob, le plus à l'ombre possible car le soleil est encore haut au dessus de la gorge et notre direction est plein ouest ! Trois litres d'eau à côté d'elle. ORDRE DE LES BOIRE PAR PETITES GORGEES pendant le temps que nous passerons à faire l'excursion non loin de là, à Silver Grotto. Son mari reste avec elle et doit venir nous avertir immédiatement si son état s'aggrave. Il doit également lui rafraîchir visage et bras pour que la chaleur ne contrecarre pas son retour à la normale. Interdiction absolue de penser pouvoir faire trempette dans le fleuve pour se rafraîchir. Il faut dire tout, même ce qui est le plus évident, on ne sait jamais ce qui peut trotter par la tête de cette bande d’inconscients !

De notre côté nous partons faire notre visite mais là, mauvaise surprise. L’entrée de la grotte est faite d'un lac artificiel dans une cuvette naturelle polie comme le marbre et aux parois presque verticales. L'eau est plusieurs mètres en contrebas et rien ne nous renseigne sur ce qu'il y a en dessous, rochers acérés ou simple banc de sable. Il n'est donc pas question d'y plonger. Un chemin trés étroit sur la gauche mène en principe jusqu'à un anneau pour y arrimer une corde et s'en aider pour descendre dans ce bassin. Hélas un mauvais plaisant ou peut-être simplement un des flashs flood a arraché l'anneau de la paroi.

siçlver grotto

Vues de silver grotto (Copyright © 2014 FreeLargePhotos.com)

silver groto 3

L'obstacle est donc infranchissable et c'est de loin que nous devons deviner le superbe spectacle des arches entrelacées aux multiples couleurs qui surplombent plusieurs autres bassins de moindre taille.

C'est déçus que nous faisons demi tour et rentrons au raft. La femme de René va déjà mieux, mais semble toujours ne pas avoir compris qu'elle a mis sa vie en danger et le groupe en situation difficile dans un endroit quasi inaccessible à tout secours rapide ! Il faut de nouveau la sermonner pour qu'elle continue de boire et de se reposer.

Faire obéir un adulte est pire qu’un gosse. C’est épuisant ! Que diable suis-je aller faire dans cette galère et ce n’est que le 3ème jour du voyage !

Pendant ce temps là un rituel immuable se prépare: Déchargement du raft, une tonne de matériel, tables, cuisine, nourriture, boissons, bagages sont déchargés et installés méthodiquement sur notre petite plage longue d'environ 100 mètres et large de 50 environ. Bob a les horaires des délestages d'eau du barrage de Glen Canyon 100 kms en amont. La masse d'eau délestée entraîne un accroissement significatif de la force du courant qui permet de purger partiellement les rapides pour en diminuer le danger, mais entraîne également une montée du niveau du fleuve. Aujourd'hui les délestages ont déjà eu lieu et les prochains ne seront faits que dans la matinée du lendemain. Aucun risque par conséquent de se retrouver dans un sac de couchage plein d'eau flottant dans le courant et transformé en raft personnel!

Chacun s'organise un petit coin tranquille avec ou sans tente car la température ne devrait pas être trop basse cette nuit même si la variation entre celle diurne et nocturne va atteindre plusieurs degrés. Et puis la vue du ciel étoilée sans pollution au-dessus du fleuve offre un panorama unique surtout si c'est la pleine lune.

18h! Une cloche de fortune faite d'une cuillère et d'une poêle annonce le dîner. Sous nos yeux ahuris se dressent sur deux tables, assiettes et couverts mais surtout une multitude d'entrées qui seront suivies de steaks et légumes et enfin d'un succulent gâteau au chocolat fait sur place! Bob et son assistante son des cuisiniers hors pair! L'eau glacée, les émotions de la journée et son excitation, nous ont donné faim et il ne reste presque plus rien sur les tables à la fin du repas. On fait une fête à Bob pour le remercier de ses talents en tous genres.

Harassés de fatigue chacun rejoint son petit nid prés de la falaise et s'endort quasi instantanément tandis que les fauvettes du canyon finissent leur conversation dans les rochers.

Pas un bruit sinon le léger sifflement de l'eau qui passe inéluctable comme les quelques 1,5 millions d'années qui nous séparent de la création du canyon par le fleuve. C'est le silence quasi absolu. Le bruit de la moindre brindille qui craque sous le passage d'un scorpion, d'un serpent ou d'un rodeur nocturne est perceptible à plusieurs dizaines de mètres à la ronde. Adieu la voisine de palier qui hurle après ses moutards, fini la stéréo de la voiture garée juste sous votre fenêtre à 3 heures du matin avec en prime Madame ou Mademoiselle qui fait une scène de jalousie au petit ami !

LE SILENCE.

 

 

 

 

Jour 2 : de Shinumo à Nankoweap rapid (25 miles/40kms)

4h30 du matin on se réveille avec l'odeur du café et des pancakes que Bob prépare depuis 4h du matin! Re-cloche! Le petit  déjeuner à l'américaine est fin prêt!  La encore profusion de victuailles et de boissons. ON DOIT S'HYDRATER AU MAXIMUM car les occasions de calme vont se faire rares une partie de la matinée du fait de le fréquence des rapides empêchant de se déplacer pour aller prendre une boisson aux trois fûts placés à l'arrière du raft devant  le siège de Bob.

Pour savoir si vous êtes bien hydraté une seule méthode: la couleur de vos urines! Blanche ok! Jaune, danger! Si vous attendez d’avoir soif, vous aurez en moyenne perdu déjà  50% de vos fluides.

Le petit déjeuner fini, chacun fait sa vaisselle dans l'ordre prescrit et impératif indiqué par Bob. La descente du Colorado est une école de discipline qui pèse comme toujours sur les latins que nous sommes, toujours prêts à croire que les dangers annoncés sont exagérés! Bob veille et rappelle à l'ordre les éventuels contrevenants; il nous a l'œil, « les froggies »!

Ensuite on recharge le navire. Là et ce sera le cas durant toute la descente, mon phénomène  dévoile un trait fort peu flatteur de son caractère: pas une fois il n'aidera l'ensemble des participants au chargement et au déchargement du raft, il disparait à ce moment là comme par enchantement et réapparait pour le départ! C’est une véritable vocation chez ce garçon!

On embarque vers 6h du matin et nous reprenons notre descente.

A environ 1 mile en aval juste après avoir croisé devant South canyon, une des merveilles de ce voyage s'offre à nos yeux.

Magnifique par sa grandeur et la verdure qui l'entoure dans ce paysage de roches, Vasey's paradise se présente dans toute sa force et son romantisme. Sortant sous une pression inouïe, perpendiculaire à la falaise, quelque 100 mètres au dessus de la berge, un formidable flux liquide retrouve le jour après des dizaines de kilomètres souterrains. C'est au cours de son second voyage dans le canyon que Powell lui donna son nom actuel en hommage au botaniste du même nom avec qui il fit une expédition en 1868 dans les Montagnes Rocheuses. Mais George Vasey n'a jamais vu son paradis n'ayant jamais fait la descente du fleuve 

Le raft progresse dans des eaux calmes sur environ 1 mile quand au détour d'une large courbe apparait face à nous au pied d'une falaise quasiment verticale une large grotte qui s'enfonce sous la roche; quelques rafts sont amarrés prés de la plage de sable blanc. Tandis qu'on avance, les dimensions de la caverne prennent des proportions gigantesques.

Dans son journal de bord, Powell estime qu'elle pourrait contenir environ 5000 personnes.

C'est l'eau qui est à l'origine de cette grotte. Aussi bien l'eau d'infiltration que celle du fleuve lui-même qui a servi de pilon pour faire se désagréger  millimètre par millimètre, centimètre cube par centimètre cube, ce mur de grés rouge. Sur les parois de la caverne on a la preuve que ce lieu était occupé par un océan dont on trouve la trace de nombreux fossiles marins et celle également de feuillages d'une forêt tropicale qui existait ici avant que l'océan ne se forme. 

Redwall Cavern que nous venons de voir se trouve un peu en aval de South Canyon, sur la rive gauche du fleuve au mile 31-32. Une expédition en 1934 découvrit dans South canyon,  un squelette dont on n'a pu à ce jour élucider le mystère.

Après Redwall Cavern, le fleuve amorce une longue série de courbes tandis qu'il s'enfonce lentement dans les profondeurs du sol. Les rives sont d'immenses falaises quasiment verticales et un calme à la fois étrange et envoutant s'installe dans la gorge et sur les passagers. On se croirait dans une Cathédrale où les visiteurs n'osent élever la voix de peur d'en troubler le caractère sacré.

C'est sans doute ici que l'on fait un retour sur soi-même dans Marble Canyon. Tout y est fascinant et mystérieux. 2,5 Milliards d'années vous contemplent, vous qui n'êtes qu’un virus dans cet univers temporel.

A certains endroits le vent, l'eau et le gel ont creusé des arches inachevées à des surplombs vertigineux, l'une d'elle s'appelle le Pont des Soupirs entre les miles 35 et 36, sur la rive droite. 

Au pied de la falaise, dans une anfractuosité de rocher, des graines ont réussi à germer et un buisson de plantes semi-aquatiques donne une note de vert dans cette profusion de rouges et de violets.

L'eau ici est calme, un vrai miroir reflétant les berges et le peu de ciel visible au dessus de nos têtes. Chacun chuchote ou se tait plongé dans qui sait quel souvenir heureux ou douloureux.

De temps en temps Bob fait virer le raft de 360 degrés pour que chacun puisse apprécier toute la beauté de cet endroit.

Il a bien failli disparaitre à tout jamais par la cupidité et l'imbécilité des hommes, ce lieu envoûtant!

Mile 40 - En 1950 une bataille sans précédent allait commencer entre les partisans de la construction de deux barrages gigantesques dont le résultat aurait été la disparition pure et simple de Grand Canyon tel que nous le connaissons encore. J’en ai déjà parlé dans un chapitre précédent mais il n’est pas inutile de le répéter pour rappeler aux hommes de toutes origines leur devoir de soumission devant les merveilles de la nature.

D'un côté il y avait le projet de barrage de Glen Canyon qui hélas a détruit plus de 1500 kms de berges du fleuve, englouti des paysages uniques, pour un résultat catastrophique sur le plan écologique avec une rentabilité en termes de production d'eau et d'électricité des plus contestables.

De l'autre un second barrage devait être construit au mile 39 ou 40 pour compléter l'entreprise de destruction menée par ses promoteurs.

Un combat sans précédent fut engagé grâce au Sierra Club, un peu l'équivalent du Club Alpin en France mais avec une capacité d'action que notre organisation est loin d'avoir.

Le Sierra Club invita ses membres à écrire directement à chacun de leurs représentants dans les deux chambres pour les menacer de ne pas les réélire s'ils accordaient un vote positif au projet. Par ailleurs, il réquisitionna à grands frais des pages entières de la presse américaine pour détailler et montrer non seulement la stupidité, mais le caractère scandaleux d'une telle entreprise.

Enfin diverses études montrèrent que l'entreprise ne donnerait pas les résultats escomptés, à savoir accroitre les capacités en eau de l'Arizona et des états voisins, du fait de la porosité des roches alentour. Ceci est parfaitement visible pour le barrage de Glen Canyon quand vous observez les falaises en aval, directement après le barrage, elles sont toutes suintantes d'eau et de peur qu'elles ne s'effondrent on a été obligé de les renforcer à grands coups d'injection de béton armé!

On pourrait ajouter aussi que la région connaît de temps en temps des secousses sismiques qui si elles n'ont pas à ce jour fait de victimes, détruisit une partie du South Kaibab trail de Grand Canyon et précipita un convoi de mules dans le vide, il y a quelques années.

Des forages tests eurent lieu pendant que la bataille entre pros et opposants faisait rage. 

Parmi les gestes spectaculaires que le Sierra Club utilisa pour faire échouer ce projet délirant, il y a eu la décision du club de renoncer à son statut défiscalisé.

C'est finalement en 1968 que cette entreprise de destruction massive fut enfin abandonnée. Cette date marque une des plus importantes victoires du Sierra Club et de ses membres.

En 1964 le Président Lyndon Johnson signait le Wilderness Act chargé de garantir la protection de la nature.

Hélas les démolisseurs sont tenaces et ce n'est pas un secret que l’ex Président Bush et ses supporters auraient bien eu envie de revoir cette législation et de remettre sur le tapis les idées folles des années 50-60!

Nous quittons le site après quelques minutes d'arrêt au cours duquel, ayant arrêté le moteur Bob nous lit un poème sur la préservation de la nature et de sa beauté.

Au mile 41,  nous faisons une courte halte pour aller visiter Buckfarm Canyon et les restes du bateau sur lequel l'explorateur Bert Loper perdit la vie le 8/07/1949. Il se noya au mile 24.5 et les restes de son bateau furent retrouvés au mile 41. En 1975 un randonneur avertit les autorités du parc qu'il avait découvert un squelette au mile 71! Des analyses anthropométriques furent menées faisant penser que l'on avait retrouvé les restes du malheureux explorateur. Il était né en 1869 et mourut à 80 ans pendant cette dernière descente du fleuve. 

C’est près d’ici que nous avons dû nous arrêter pour le déjeuner, mais je n’en ai aucun souvenir, absorbé que j’étais par les émotions visuelles et auditives de la journée. Une fois de plus force m’était de constater que je n’étais pas sur la même longueur d’onde que mes compagnons de voyage, plus enclins à chahuter. Devant un pareil paysage,  j’ai besoin de silence voire de solitude; je suis en fait un solitaire et un contemplatif et rares sont ceux qui savent partager ce genre de comportement.

Epitaphe à la mémoire de Bert Loper sur les restes de son embarcation. 

Deux miles en aval nous franchissons President Harding’s rapid nommé ainsi en souvenir, le jour des funérailles de ce président en 1923.

Au mile 47 nous nous trouvons devant Saddle Canyon sur la rive droite. C'est encore un de ces endroits qui appellent à la méditation dans cet univers minéral. J’en ai parlé plus haut nous sommes en fait au pied de la montée de Saddle Mountain qui mène à la rive nord de Grand Canyon national parc.

Notre prochain rapide sera le plus long et l'un des plus hauts de notre parcours de trois jours et demi.

Nankoweap rapid (3-4/10 H=7.50m) ; il est long de 1600 mètres. Il ne présente pas de réelles difficultés car la pente moyenne du fait de sa longueur est relativement faible. Par contre sous le ciel gris de cette fin d'après midi, la température de l'eau à 6° se fait sentir malgré nos combinaisons.

Ce sera notre dernier rapide pour la journée et nous approchons de notre destination nocturne sur la plage qui est surplombée par des ruines d'un grenier indien Anasazi.

Nous n'aurons pas malheureusement l'occasion de visiter ces ruines car situées sur une falaise escarpée, à plus de100 mètres au dessus du fleuve nous risquerions d'être surpris par la nuit à la descente.

Nous nous arrêtons relativement tôt pour aller faire un petit tour dans Nankoweap Canyon.  La falaise sur notre gauche est impressionnante et fait penser à un immense navire sur le point d’appareiller. Le temps est instable et partiellement couvert. Nous n’irons pas très loin pour ne pas être pris dans un éventuel orage.

Vers 16h nous rebroussons chemin et rentrons à notre campement. Installation, mise en place des cuisines et de la salle à manger, montage des bungalows.

19h : Bob nous appelle à table, menu différent de la veille mais toujours aussi succulent. Les émotions, l’eau glacée de la journée ont donné à chacun une faim de loup.

Rassasiés après une courte pause café ou infusion, et quelques propos échangés, chacun va se coucher. Demain  la journée sera à émotions, car nous allons affronter les rapides les plus dangereux précédant notre arrivée à Phantom Ranch le lendemain en fin de matinée. 

Vue sur le fleuve depuis les ruines et sur la plage où nous avons campé.

 

Jour 3 : De Nankoweap rapid  à Clear Creek.

 Réveil et rituel petit déjeuner aux mêmes heures que la veille. On quitte Nankoweap, sous un beau soleil.

Deux rapides à franchir ce matin  sans aucun intérêt côté émotions!

Puis à 11h du matin, tout à coup au détour d'une courbe apparaissent des eaux turquoises et un large affluent inondé de soleil!

C'est le Petit Colorado. Cette rivière prend sa source à plusieurs centaines de kms au sud est de grand canyon. En cours de route non loin de Flagstaff elle rencontre une importante barrière de basalte, reste d'une des éruptions des volcans aujourd'hui éteints à l'est de cette ville. La force des eaux a creusé une faille de 90 mètres de hauteur donnant lieu au printemps à de fortes chutes d'eaux en cascade plus hautes que celles du Niagara. Ce sont les chutes de Grand Falls.

 

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Les chutes de Grand Falls près de Flagstaff en Mars 1991. 

A force de creuser au cours des siècles le fleuve réussira à franchir la barrière en virant à 90° plein nord, jusqu'à ce qu'il retrouve son orientation initiale sud est-nord ouest. Au fur et à mesure qu'il s'approche du Colorado, son lit se creuse davantage et depuis le parking sur la route menant à l'entrée est du parc, on peut avoir une vue plongeante de prés de 200 à 600 mètres par endroits sur le lit de la rivière. 

 

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Vue satellite de Grand Falls près de Flagstaff. Les deux flèches indiquent le sens du courant du petit Colorado. En arrière les taches sombres sont les coulées de lave des volcans éteints des alentours.

Le petit Colorado est sec dès le mois de Juin et pendant tout l'été. C'est principalement la fonte des neiges qui l'alimente.

Cette sécheresse est trompeuse, car en fait l'eau continue de couler sous les masses de rochers qui forment son lit. Une randonnée ici peut être mortelle en cas de montée soudaine des eaux totalement imprévisible.

L'entrée de la gorge proprement dite se trouve à Cameron; à quelques kms de là on peut voir les restes du vieux pont suspendu qu'utilisaient les Indiens pour passer d'une rive à l'autre....Il n'est pas conseillé aux personnes atteintes de vertige!

Au fur et à mesure que la rivière s'approche du Colorado, l'eau refait surface. Chargée en sels minéraux elle crée de nombreux travertins de calcaire et prend des couleurs du vert au bleu turquoise selon l'éclairage solaire.

Avant d'arriver au Colorado, se trouve un lieu sacré des indiens: le SIPAPU.

Plus loin, le long du Colorado lui-même se trouvent des mines de sel utilisées par les Indiens qui y viennent en pèlerinage. Il est strictement interdit de camper dans cette zone pour en préserver la beauté mais aussi son caractère sacré et respecter les traditions indiennes.

Bob amarre le raft à la confluence, hors du courant du Colorado et nous dit de prendre nos gilets de sauvetages. On obéit un peu étonné. En longeant le lit de la rivière relativement large à cet endroit, nous arrivons à un endroit ou la profondeur d'eau est minime et recouvre un large travertin de calcaire qui s'étend sur plusieurs dizaines de mètres et permet de traverser sans risque.

De l'autre coté il nous montre les restes de la maison d'un prospecteur creusée dans le rocher et conservée intacte depuis un siècle.

Au retour on s'arrête près d'un passage ou la rivière passe en gros bouillons d'écume qui contrastent avec le bleu turquoise alentour.

Bob nous dit de mettre nos gilets en les enfilant comme un maillot de bain par les ouvertures des bras et de les attacher comme d'habitude mais suffisamment serrés pour ne pas les perdre. Et geste à l'appui il se met à l’eau pieds vers l'aval et se laisse emporter par le courant comme sur un toboggan! Nous le suivons à notre tour dans une cascade d'éclats de rire et de hurlements de terreur car mine de rien le courant est trés fort et pour rien au monde nous ne voulons aller goûter à l'eau du Colorado et de ses tourbillons tempérés a 6°!!!!

Après avoir passé une petite heure à jouer comme des gamins, nous refaisons route vers les rapides à venir qui vont nous réserver quelques surprises!

Rétrospectivement je me dis que Bob sans vouloir le dire nous a entraînés à une éventuelle chute dans les eaux tumultueuses et glacées des rapides à venir!

Le temps se couvre, une fine pluie tombe. Pendant notre halte de midi, le tonnerre gronde dans le lointain et une bonne averse nous oblige à nous tasser sous un surplomb de rocher pour ne pas être trempé. En regardant au dessus de nos têtes Bob nous montre des vaguelettes sur la roche. Ce sont des vaguelettes fossilisées de plage au bord d’un océan qui occupait les lieux bien avant la formation du canyon.

Nous repartons quand la pluie décroît en intensité, mais le mauvais temps et aussi un trajet de 33kms nous attend jusqu'à notre prochaine escale.

Nous passons d'abord Lava canyon rapid (mile 66 2-4/10 H=1.2m), totalement insignifiant! C’est que maintenant nous sommes devenus des rafteurs exigeants; on ne va quand même pas faire toute une histoire d'un rapide classé 2-4.

Vient ensuite 2 miles plus loin Tanner rapid (2-4/10 H=6m), le dénivelé est plus fort mais sa difficulté identique au précédent. Je ne le sais pas encore mais l'année suivante, exactement à la même époque, je ferai escale ici 3 nuits pendant ma randonnée de 6 jours qui me conduira jusqu'à la confluence du petit Colorado et retour. Une de mes plus belles et plus difficiles randonnées. Nous croisons devant Basalt canyon sur la droite aux parois de basalte noires.

Le soleil refait son apparition et aussi nous recommençons à trouver qu'il fait une chaleur intenable! Au mile 71 nous nous arrêtons. Nous allons visiter sur la rive droite, surplombant la large courbe en S du fleuve, un site archéologique important d'un ancien village Anasazi. Le sol est jonché de débris de poteries, et à plusieurs endroits on a découvert des restes d'habitations indiennes.

Nous reprenons notre route et immédiatement passons Unkar rapid (4-/10 H=7.5 m). Il se partage en deux tronçons d'environ 200 mètres, bordés sur la rive gauche par une falaise verticale de plus de 100 mètres de hauteur. L'année suivante, le deuxième jour de ma randonnée, je ferai une petite excursion ici et prendrai, à plat ventre, au bord du vide deux photos de ce surplomb impressionnant. Je me souviens que pour me relever et ne pas risquer de glisser et de me précipiter dans le vide à cause du sol fait de poussières de roches particulièrement glissantes, j'ai rampé en marche arrière à bonne distance du bord de la falaise, tel un indien sur le sentier de la guerre mais à reculons !!!!!. 

 

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Ci-contre vue en aval d’Unkar rapid

Une fois passé le rapide (nous sommes au mile 72-73), nous nous dirigeons vers Neville's rapid (4-/10 H=4.5m). Les rives du fleuve sont de plus en plus verticales et prennent sur la rive droite des teintes de plus en plus noirâtres. En fait nous reculons progressivement dans le temps. Neville's peut être dangereux en période de basses eaux.

 

 

Ci dessous vue amont d'Unkar rapid. Le site Anasazi se trouve sur la gauche de l'image, surplombant la rive droite du fleuve. Il s'étend sur tout le plateau longeant les deux parties du rapide.

 

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Powell écrit le 14 août 1869 aux environs du mile 76

"Nous pouvons voir vers l'aval du fleuve et ce que nous apercevons est particulièrement inquiétant...."

Ce qu'il aperçoit, c'est Hance Rapid (7-8/10 H=9m). On imagine aisément ce qu'était ce rapide en 1869, alors qu'aucun barrage n'existait sur tout le fleuve! C’est l’entrée de la série de rapides à venir jusque pratiquement la sortie du fleuve, que les rafteurs appellent « Adrenaline Alley ». Est-il besoin de traduire ?

Nous nous n'oublierons pas de si tôt le mile 76,5. Devant nous est Hance rapid, un cauchemar d’environ 1300 mètres. Pour se faire une idée de ce que l'on peut ressentir, lisez l'article suivant et vous comprendrez pourquoi ce fut pour nous un cauchemar à la puissance 2 !

Voici le compte rendu du passage de ce rapide par un passager d’une descente en avril 1966.

« Notre rafteur parlait avec un accent doucereux- «…personne  ne descend pendant que j’explore le rapide… » (Quand on atteint un rapide à risque, en général si les rives le permettent, le rafteur descend du raft et examine la configuration du rapide de façon à visualiser le chemin qu’il va prendre pour éviter les passages dangereux tels les gros tourbillons qui masquent des rochers sous l’eau et peuvent aspirer en avant ou en arrière le raft au fond de la rivière sans possibilité d’en sortir!) .

Evidemment quelques jeunes petits malins le suivirent  tandis que je restais sur le raft tremblant comme une feuille morte ! Après quelques minutes le rafteur revient et nous demande d’assurer nos gilets de sauvetage ce qu’il n’avait jamais fait auparavant ! Il vérifia tous les cordages, les attaches des rames (le raft n’était pas à moteur), vérifia que les rames de secours étaient à sa portée. Il lissa tranquillement et sans un mot ses cheveux grisonnants.

Comment se fait-il qu’il reste ainsi silencieux? Mon estomac se contracte et je ressens une tension accrue sur ma poitrine.

Le premier raft quitte la berge et se dirige vers le rapide. Il arrive au bout du miroir verdâtre de son entrée, puis disparaît à nos yeux dans une gerbe d’écume blanche. « Oh mon dieu, ils ont chaviré !» s’exclame une voix.

Pas un son sur notre embarcation. Il n’y a pas moyen de savoir si le raft est sorti indemne du rapide. Je pense à ce que deviendra ma petite fille!

Sur un signe du rafteur, deux jeunes gens remettent à l’eau le raft. Pourquoi faut-il que nous soyons le second bateau ?

Le rafteur positionne le raft en direction du rapide. Ses bras sont tendus, tous muscles saillants! Je m’installe à l’endroit le plus sûr du raft-son centre. Un grondement tumultueux emplit mes oreilles ou bien est-ce les battements de mon cœur ?

Le raft atteint l’entrée du rapide et bascule dans le bouillon d’écume. Tremblant, mon estomac en boule, je ferme les yeux me collant aux bagages tel une boule verdâtre…En apparence ce que je ne voyais pas ne pouvait me blesser mais le bruit assourdissant me convainquait du contraire. Pourquoi je ne sens pas le froid ? Je vais mourir avant que je ne tombe dans l’eau !

Le raft tombe dans un bruit sourd, apparemment sans se retourner.

Les sons assourdissant me foutent la trouille mais je ne perçois que deux cris qui me mettent immédiatement en action : écopez, écopez ! Qui a crié ? Instinctivement les yeux fermés je cherche le sceau utilisé pour laver nos mains et nous raser le matin. Je n’ai aucun moyen de savoir si l’eau dont je remplis le sceau se déverse hors du bateau qui se remplit d’eau tandis que les vagues nous submergent. L’eau entre dans mon poncho par toutes les ouvertures, je grelotte, agrippé d’une main à un cordage, et j’inspire l’air frénétiquement…

Tout ce que j’entends dans ce vacarme sont au loin des éclats de voix et des éclats de rire! Ces maudits gamins n’auront pas de respect pour la mort!

« Ça y est ouvrez pas les yeux », crie le rafteur dans un éclat de rire! Cris, hurlements, éclats de rire, tout ces bruits sont bien réels! Lentement j’ouvre mes yeux, ma main droite crispée, mes phalanges blanches, ma main droite tient énergiquement le sceau !Surprise, je suis vivant.

Le soir même la vue d’un steak ne peut me donner envie de manger, nausées et étourdissements me réduisent à trouver un endroit calme et tranquille sur la plage de sable assis dans mon sac de couchage. Je passe les dernières heures avant de plonger dans le sommeil songeant aux lauriers de cette journée. J’ai survécu !... »

Je vous rappelle que nous sommes sur un raft à moteur d'une tonne et demi donc dont la manoeuvrabilité est moins grande que celle d’un raft conventionnel.

 

entrée de Hance rapid

 

L'entrée de Hance rapide et ses premiers rochers....

Juste avant d'entrer dans le rapide, Bob rappelle qu'il est maintenant INTERDIT de voyager à califourchon sur les deux flotteurs latéraux. Il rappelle la consigne de sécurité en cas de chute dans le rapide; nager pieds face à soi en essayant de rester dans le sens du courant. Enfin attacher fermement son gilet de sauvetage.... Voilà qui est fait pour nous rassurer!!!! Ma caméra dans son sac étanche est bien calée entre mes jambes sur son petit trépied de poche; je m'assieds sur ma carte du parcours sur le fleuve; ma main droite est agrippée à l'une des cordes d'amarrage des bagages sur ma droite légèrement en avant de mon corps tandis que ma main gauche serre frénétiquement l'une des cordes d'amarrage du flotteur gauche derrière moi.

Le grondement du rapide s'amplifie au fur et à mesure que nous approchons. Il y a des formes indistinctes qui semblent dépasser au dessus de l'écume qui a l'air de s'étendre à perte de vue, et pour cause, nous allons franchir une sacrée distance.

Le raft plonge dans la première vague et est aussitôt transformé en sous-marin! Lorsqu’il refait surface, je jette un coup d'œil vers l'arrière et voit Bob debout le dos à notre trajectoire et tirant frénétiquement sur le démarreur du moteur!!!! Il s'est arrêté!

Pendant ce qui paraît un temps interminable il s'évertue et enfin le moteur se remet en marche; pendant ce temps d'énormes rochers défilent à toute allure de chaque coté du raft.

Nous filons à 17kms/heure! Cela paraîtrait d'une lenteur extrême dans un véhicule terrestre, mais dans cette véritable machine à laver, c'est énorme.

Tout à coup je me sens irrésistiblement entraîné sur ma gauche. Que se passe-t-il ? Je regarde derrière moi. Bob est à nouveau aux prises avec le moteur qui s'est arrêté une seconde fois. Un cri sur ma droite me fait regarder dans cette direction et je vois ma fille, Sophie littéralement 50 ou 60 cm dans les airs tandis que Nicolas l'attrape par le bas de son maillot de bain et l'empêche de faire un vol plané en direction de l'eau! En même temps je m'aperçois avec horreur que le raft s'est incliné d'environ 30°! Ceci explique ma difficulté à rester calé sur ma place! Je regarde entre mes jambes ma carte a disparu; je l’aperçois glissant ostensiblement dans l’interstice sous les bagages et je finis par la rattraper; la caméra est toujours là, mais j'aurai une surprise de taille en visionnant le soir la séquence en cours de prise de vue.....

Le moteur repart à nouveau et le raft retrouve sa position horizontale.

Quelle distance avons-nous encore à faire! Mystère! Tout ce que je vois et que je ressens ce sont les claques de chaque énorme paquet d’eau, la vision de rochers à n'en plus finir, et cette impression d'être dans un toboggan à Disneyland!

Nouveau regard inquiet vers Bob! Re-vision d'un Bob debout luttant avec acharnement avec son démarreur!

Puis brusquement c'est le silence...Ca y est, on est de l'autre côté de ce rapide, on a parcouru 1300 on a fait une chute de 9 mètres ! La hauteur d'un immeuble de 3 étages et demi !!!

Revenus de notre frayeur, un tonnerre d'applaudissements salue la performance de Bob, le regard hilare !

Hance rapide est derrière nous. De tous côtés des falaises sinistres.

Mais le programme de la machine à laver n'est pas sur lavage court! A 3200mètres de là il y a  Sockdolager  (5-7/10 H=5.7m) et son énorme rocher placé au milieu du courant qui nous attend de pied ferme!...

Nous sommes trempés jusqu'aux os et ayant un peu froid car sans beaucoup de soleil,

 Une fois passé Sockdolager nous allons franchir au mile 81,8 juste après avoir croisé Gravepine creek, Gravepine rapid (6-7/10 H=5.1)  sur une distance de 400m !

Le temps était couvert, un léger crachin veillait à ce que nous ne restions pas au sec et le milieu de l'après midi était franchi, nous allions donc arriver sous peu à notre destination de la journée.

Rien à signaler au passage de Gravepine rapide et le dernier de la journée,

83 mile rapid (3-6/10 H=2.1m)  passa comme une lettre à la poste.

Au mile 84 nous aperçûmes une petite plage sur la rive droite juste après l'embouchure de Clear creek. Son inconvénient est son peu de profondeur. Depuis Hance rapid, la largeur du fleuve s'est considérablement réduite. C'est cela qui rend les rapides plus féroces, une même masse d'eau doit trouver son chemin dans un véritable goulot d'étranglement. Ainsi à Sockdolager il n'y a aucune plage et Powell en 1869 dut se résoudre à franchir le rapide dans son intégralité, alors qu'à Hance il avait fait porter les embarcations par son équipe.

Autre inconvénient de l'étroitesse de la plage : les montées du niveau du fleuve en raison des délestages à Glen Canyon Dam, 84 miles en amont.

Bob nous mit en garde sur ce phénomène cette nuit là car des délestages importants étaient prévus. Le fleuve sera à son plus bas niveau vers 17h ; vers 19h le niveau d'eau recouvrait la plus grande partie de la plage jusqu'au talus.

Ce soir là personne ne veilla tard. Les émotions de l'après midi se traduisirent par un phénomène de décompression.

Le soir je visionne la prise de vues des derniers rapides. « Non ce n’est pas vrai! Ce n’est qu’une horrible suite de vues floues avec de temps à autre un rocher traversant le champ ! » Au moment où je me calais dans ma position de sécurité, j'ai en serrant les jambes comprimé la pochette étanche de la caméra; du coup elle exerça une pression latérale sur le bouton du zoom qui progressivement, on le voit dans les premier plans de la séquence, s'est mis en position téléobjectif et à son  maximum!  Rentré en France j'aurais pu renoncer à garder cette séquence, et puis j'ai eu l'idée de profiter des possibilités multiples de mon logiciel de montage pour insérer des images fixes entourées par le défilement des rochers et falaises et des vagues successives. Pis aller pour garder cette séquence.

Jour 4 matin : De Clear Creek à Phantom Ranch

Le lendemain matin, la matinée devait débuter avec une ballade jusqu'a Clear Creek et sa cascade. Bob resta au raft pour préparer toutes les formalités à remplir lors de notre arrivée prévue pour midi à Phantom Ranch. C'est son assistante qui mena le groupe.

Son inexpérience fut la cause d'un incident qui me gâcha cette dernière demi-journée. Partie en avant à toute vitesse elle ne faisait pas attention si le groupe suivait. Ce qui devait arriver arriva ! Au moment de franchir à gué le cours d'eau peu profond, n'ayant pas vu où elle était passée, je glissais sur un rocher à fleur d'eau et malgré ma présence d'esprit de maintenir mon bras aussi haut que possible, tenant mon appareil photo, je perdis l'équilibre et me retrouvais étalé dans le cours d'eau, l'appareil de photo plongé sous 50cm d'eau !

Inutile de dire qu'il ne résista pas une seconde à ce traitement d'eau minéralisée. Ce qui me priva de faire la moindre photo jusqu'a la fin du séjour.

De retour de Clear Creek vers les 11h, nous embarquons matériel et passagers et prenons la route en direction de Phantom Ranch. Il nous reste 4 miles à parcourir et un dernier rapide à franchir celui de Zoroaster (4/10 H=1.5m).

Petit à petit on distingue au loin le Kaibab bridge.

En 3 jours et demi nous avons parcouru 88 miles soit 132kms. Nous avons franchi 52 rapides de force plus ou moins grande.

Chacun sort de cette première partie du voyage profondément marqué.

On ne sort pas indemne d'une descente en raft sur le Colorado. Le fleuve a brisé autant qu'il a formé des couples et des amitiés, explique dans son livre « Canyon », le rafteur Michael Ghiglieri. Chacun réagit à sa manière dans cette gorge à la fois grandiose et fascinante mais aussi angoissante par endroits. La vie animale se voit rarement soit par son absence, soit par sa faculté à se fondre dans le paysage, tant l'être humain homme ou animal paraît microscopique à l'échelle temporelle aussi bien que métrique.

Bientôt 20 ans se seront écoulés depuis cette première descente. La fascination pour Grand Canyon est aussi intense aujourd'hui qu'au premier jour d'octobre 1990 où je faisais mes premiers pas dans les profondeurs de cet abîme.

Ce sont toujours ces émotions devant une telle merveille naturelle, que les larmes en sont l'exutoire. Cela pourra paraître stupide ou ridicule.

Simplement un bon conseil, si vous n'êtes pas ému par les merveilles de la nature, ne venez pas ici. Vous gâcheriez le plaisir des autres randonneurs.

Je me souviens de ce couple de jeunes étudiants français croisés sur le Bright Angel trail au 3 mile resthouse qui s'adressèrent à moi et se plaignirent que le chemin sentait  mauvais à certains endroits! En effet les mules ne demandent pas la permission d'aller aux toilettes et font leurs besoins sur le chemin....! Est-ce là le plus important ? C'est tout ce qu'ont retenu ces jeunes gens d'un pareil univers où fut confirmée la théorie de la dérive des continents!?

La suite du séjour avec mon groupe de collègues ne mérite pas de longs développements sinon pour raconter rapidement certains épisodes caractéristiques de leur comportement y compris celui de ma fille qui en fait toujours à sa tête.

Nous avions une nuit de camping prévue à Phantom Ranch et nous devions repartir en fin d’après midi le lendemain pour Indian Gardens. J’avais proposé de faire une courte excursion de la demi-journée pour mettre chacun en jambes pour la suite du programme qui devait nous mener via le Tonto West Trail jusqu’à Hermit’s Rest et sortir du canyon via le Hermit trail.

Le soir de notre arrivée à Phantom ranch les jérémiades commencèrent.

Tandis que j’essayais de garder mon calme on commença à préparer le dîner : Poulet au citron vert. L’un des passagers commença à se plaindre de ce que le poulet était trop salé et avait trop de citron! J’explosais!

« Si cela ne vous va pas, les Hamburgers  sont 1600 mètres plus haut là-bas », m’écriais-je en pointant d’un doigt vengeur le sommet du rim! A ce moment là une main se posa sur mon épaule et me retournant, je voyais apparaître Franck souriant, venu exprès me voir, connaissant notre jour de passage. Il devait repartir dans la nuit pour Phoenix reprendre son poste de commandant de bord de 737.

Pour m’amener à me calmer il me conduisit au bord du Colorado. J’appréciai son geste et nous bavardâmes presque jusqu’à la tombée de la nuit. De temps en temps Franck peut avoir un geste sympathique. Je pense que les cinq années passées avec sa seconde épouse, ont largement contribué à détériorer son caractère. En revenant nous tombâmes sur le ranger venu vérifier nos permis de randonnée. Franck était en infraction car il devait camper à Phantom creek un peu plus haut au dessus du North Kaibab Trail. Après négociations il obtient du ranger de camper auprès de nous à condition d’avoir quitté les lieux au plus tard à 4h du matin le jour suivant. 

Suite et fin du voyage : De Phantom Ranch à Hermit Rest 

Jour 5 Phantom Ranch-Clear Creek - Indians Garden

Le lendemain, un peu calmé, je décidai d’emmener mes zouaves sur le Clear Creek trail. Il n’était pas question évidemment de le faire dans sa totalité mais de se chauffer et de voir la vue spectaculaire sur le canyon de ce plateau supérieur.

Nous partons et quelques instants plus tard un cri d’une des filles ! Dans un bruissement de branches, dérangé par son bâton, un serpent a filé. Pas de quoi pousser des cris d’orfraies ! En même temps je constate que René est en baskets ! Une fois de plus j’ai parlé dans le vide! Ma fille indisposée est restée au camping.

Nous rentrons vers 15h30. Nous devons mettre nos matériels utilisés dans le raft, dans des sacs qui seront remontés le lendemain par des mules. Cela allègera considérablement nos sacs à dos. Tout doit être déposé prés du ranch avant 17h. André, le Phénomène a disparu. René a mal aux pieds. Je lui dis d’enlever ses baskets et découvre horrifié que ses voutes plantaires ne sont qu’une unique cloque! Du bout des orteils jusqu’au talon!

Opération rafistolage et anesthésique car sinon il ne pourra pas continuer le reste de la randonnée de 5 nuits et 6 jours. Heureusement que j’ai ce qu’il faut! Pendant que madame fait les bagages, monsieur se repose histoire de ne pas solliciter inutilement ses pieds.

16h45, tous les sacs à remonter, sont portés à leur lieu de dépôt quand André, toujours le même, arrive d’on ne sait où et me demande un sac pour ses affaires! Je suis sur le point de porter mon barda au dépôt. Je ne sais ce qui me retient de lui flanquer une bonne paire de claques pour tenter de le ramener à la réalité du moment !

Tant bien que mal nous réussissons à mettre ses affaires dans mon sac, mais ce faisant je m’apercevrai plus tard que j’ai gardé par inadvertance des objets dont je n’aurai plus besoin et qui vont peser sur mon sac et mon dos! Je ne peux pas faire deux choses à la fois, résoudre les problèmes des inconscients et des irresponsables et m’occuper de mes propres affaires en me concentrant ! Je n’ai pas eu une minute de repos depuis le retour de Clear Creek. Je suis à bout.

La remontée sera dure pour moi et en arrivant à Indians Garden la nuit tombée, le groupe n’étant pas resté groupé dans la montée, les premiers arriveront sans le permis de groupe qui doit être porté par le chef de groupe. Evidemment le ranger vient vérifier et ne me trouvant pas se dit qu’il a affaire à des resquilleurs, voilà notre réputation parfaitement justifiée auprès des étrangers.

Ils ont donc dû attendre mon arrivée pour être autorisés à monter leurs tentes.

Jour 6 Indians Garden - Monument Creek

Le reste de la randonnée jusqu’à Monument Creek se passe sans trop de problèmes. Nous y restons deux nuits ce qui nous permet de descendre au rapide.

Au retour je ferme la marche avec André, toujours lui. Et bien sûr monsieur a ses idées pour la remontée quand nous arrivons à hauteur de la sortie du petit canyon. Il veut absolument prendre le raccourci par le lit de la rivière alors que je m’évertue à lui dire que le passage y sera extrêmement glissant et dangereux. Rien n’y fait. « J’ai fait de l’alpinisme » me rétorque-t-il. Oui mais il ne s’agit pas d’alpinisme pour lequel de toutes façons il n’a pas l’équipement sur lui.

In fine épuisé par dix minutes de discussion, je le laisse faire à sa guise. Que le diable l’emporte !

Arrivé au campement avec le reste du groupe on se rafraîchit au bord du creek et fait quelques tâches ménagères.

Tout à coup je vois que le soleil va disparaître derrière la falaise. Il est 18h. A-t-on vu André ? Réponse négative. Je crains le pire. Je demande à Nicolas et un autre de m’accompagner pour descendre avec précaution le long du lit de la rivière à la recherche de mon irresponsable national!

Au moment où nous allions commencer la recherche le voici qui apparaît, fourbu et avec quelques ecchymoses bien visibles. Il est en effet tombé en glissant à plusieurs reprises. Il crâne évidemment, car il a toujours raison.

J’ai oublié de dire dans la série des sottises que la nuit précédente René a eu l’idée géniale de partir aux toilettes en tongues, heureusement avec sa frontale, ce qui lui a permis de ne pas mettre à la dernière seconde, le pied sur un scorpion de 12cm de long, « l’Arizona scorpion », un des plus venimeux !

Le matin c’est aux filles de se distinguer! Elles arrivent affolées!

« Y a un serpent à sonnette sur les marches d’accès aux toilettes! Qu’est-ce qu’on fait?»

« Ben vous attendez qu’il se réveille! Il est chez lui. Vous, vous êtes les intrus sur son territoire! »

« Oui, mais ça urge!»

« Vous n’avez qu’à le lui dire! »

Et je pars m’occuper de mes affaires en leur tournant le dos! Ras le bol de ces nanas qui se croient dans leurs 3 pièces, cuisine, salle de bains! 

Jour 7-8 Monument Creek – Hermit Camp

Nous quittons Monument creek, nous dormirons ce soir à Hermit et y passerons là aussi deux nuits.

Peu avant d’arriver à notre destination, il y a plusieurs chemins qui se croisent sans aucun signalement de direction. C’est pour cela que j’ai une carte topographique, pas pour faire joli!

Nicolas : « Oh vraiment c’est pas bien signalé ici! »

Moi : « 1/ici ce n’est pas les Champs Elysées ; 2/c’est un chemin primitif non entretenu par le parc je t’avais prévenu! ».

Ils vont vraiment me faire devenir chèvre! Je suis à bout. Que diable suis-je allé faire dans cette galère!?

Jour 9 Hermit Camp – Hermit Rapid

Le lendemain matin, baignade dans la magnifique vasque qui disparaîtra hélas quelques mois plus tard dans un flash flood. Puis c’est la ballade à Hermit rapide.

Dans la matinée pour je ne sais plus quelle raison j’ai fini par craquer devant le groupe ahuri.

René est venu me réconforter avec sa femme et la sœur de Nicolas qui habite près de Strasbourg et sera la seule à me remercier plus tard en m’envoyant une très gentille lettre me disant que je lui ai fait faire le plus beau voyage de sa vie.

Jour 10 Hermit Camp – Hermit Rest

Le dernier jour la remontée manque de se terminer en catastrophe.

J’ai pris le soin de prévenir de deux possibilités : d’une part le temps peut changer, je le trouve maussade aujourd’hui. D’autre part attention dans le dernier tronçon de la montée au fameux passage où le cairn peut emmener sur le mauvais chemin et droit dans le vide surtout si la visibilité est mauvaise.

Comme prévu le temps change de nuageux il passe à pluvieux, avec brouillard en prime.

La consigne est de rester groupé. L’un ouvre la marche tandis que le dernier la ferme en s’assurant qu’il n’y pas de retardataires. Evidemment j’ai parlé une fois de plus dans le vide!

Je me retrouve avec deux derniers, je peine avec mon sac à dos trop lourd dont une des sangles à failli lâcher et que j’ai du recoudre. En plus je commence à avoir sérieusement mal à mon pied gauche dont la voûte plantaire est douloureuse. Je découvrirai à Paris qu’elle s’est affaissée sous l’effort causé par l’excès de poids du sac à dos.

La pluie sur les derniers mètres s’est transformée en neige avec brouillard. Je reconnais sans peine le fameux passage traître. J’arrive enfin au sommet où le soleil est radieux.

Je compte mes brebis, il en manque une!

Ma fille!

L’a-t-on vu? Où la dernière fois?

Le lieu de sa disparition ne fait pas de doute. A trois on dévale le chemin et au moment d’arriver à la maudite bifurcation la voilà qui apparaît en larmes! Elle s’est arrêtée à temps dans le brouillard à quelques mètres du vide et a attendu que le brouillard se lève pour rebrousser chemin.

Je suis trop angoissé et heureux de la voir vivante pour me mettre en colère. L’explication est simple. Elle a pris la tête du groupe et personne en arrivant au sommet ne s’est soucié de vérifier que tout le monde était arrivé sain et sauf! Et chacun en a fait à sa tête oubliant de rester groupés comme je l’avais demandé. On a même l’audace de me dire qu’on ne savait pas!

A bout et exaspéré de devoir toujours remettre les points sur les i, je finis par me taire et nous prenons la première navette pour le village et l’hôtel réservé. On passera l’après midi à récupérer nos affaires, remontées à dos de mule.

Le soir chacun dînera de son côté. Moi je veux être seul. J’ai eu ma dose comme on dit!

Le lendemain retour sur Las Vegas par un vol régulier. Soirée médiocre. André rentrera dans la chambre avec fracas vers 3h du matin, monsieur a fait le tour des casinos. Le jour du retour pour Paris arrive. Le soir correspondance à Dallas, bien sûr au lieu de se grouper avec moi pour obtenir les cartes d’embarquements et être tous ensemble, chacun n’en fait qu’à sa tête. J’ai renoncé à traiter ses adultes qui ne sont que des gamins indisciplinés y compris ma chère fille.
On arrive le lendemain matin à Orly. On se sépare. Pas un mot de merci. Tout est dû en France, c’est la grande théorie des avantages acquis qui prévaut comme toujours.

Conclusion: JE NE RECOMMENCERAI PLUS UN PAREIL VOYAGE.

On pourra me supplier que je refuserai. J’aime mieux ma solitude dans le canyon. La seule exception que je ferai sera pour mon fils qui comme moi est un homme sensible et conscient des difficultés d’un tel périple. Quand réaliserons-nous ce projet qui nous tient à cœur à tous les deux? Peut-être ou jamais. Dieu seul le sait!

La vidéo de cette descente en raft sera mise en ligne plus tard dans un chapitre complémentaire.

 

Lights and Water in the Corridor of time from claude101141 on Vimeo.

Nouveau scandale à Grand Canyon

Le fait se déroule depuis deux ans aux USA et a pour objet une sombre manœuvre mercantile qui va non seulement si elle est autorisée dénaturer l'un des plus beaux sites au monde, mais de plus violer un lieu considéré comme sacré d'une des tributs indiennes. 

Le Président de la Nation Navajo  se trouve à la une pour vouloir autoriser la construction d'un téléphérique ou funiculaire à Cape Solitude dans le Grand Canyon pour permettre aux touristes de descendre dans le canyon à la confluence du Colorado et de son affluent le petit Colorado.

Ce lieu magique (voir photo que j'ai prise en 1996) est sacré. En aval a quelques centaines de métres de la confluence il y a des mines de sel qui sont un lieu de pèlerinage de la nation Hopi si mes souvenirs sont bons. Sur l'affluent en amont se trouve le Sipapu lieu sacré entre tous considéré comme celui de la naissance de l'homme dans la tradition indienne. 

Comment peut-on un seul instant manquer à ce point de respect vis à vis des croyances ancestrales d'une nation. Imaginez de mettre à l'intérieur de Notre Dame de Paris, un fast food et des vendeurs de colifichets à la sauvette! Il y en a déjà hélas à l''extérieur et c'est pas triste! 

confluence coloradopetitcoloradopanoretraite_1

 La confluence: A gauche la branche amont du Colorado, à droite le Petit Colorado aux eaux turquoises (Photo prise par FroggyAtGCN en Mai 1996). Cape Solitude se trouve sur la droite de la photo et surplombe le site à1843m d'altitude tandis que le fleuve et son affluent sont à 823 mètres d'altitude. On peut rejoindre Cape Solitude à pied le long d'un chemin de randonnée non entretenu de près de 21kms sans eau sur le parcours.

Je suis tombé sur cette nouvelle concernant Cape Solitude en cherchant des photos pour situer deux plans de mon film . J'ai vivement réagi et j'ai inclu un insert dans mon film au sujet de ce nouveau scandale qui ravagerait l'un des sites les plus beaux au monde.

 

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